Auteur de plusieurs ouvrages sur Murakami Haruki, Katô Norihiro évoque sa rencontre avec l’œuvre de l’écrivain.
Comment a eu lieu votre rencontre avec l’œuvre de Murakami Haruki ?
Katô Norihiro : Il se trouve que 1978 à 1982, je travaillais comme documentaliste à l’université de Montréal et que pendant toute cette période, je ne suis pas rentré au Japon et n’ai pas lu de littérature japonaise. Ce n’est qu’à mon retour en 1982 que j’ai découvert Hear the wind sing [inédit en français], sa première nouvelle de même que son premier roman La Course au mouton sauvage qui venait de paraître. Immédiatement, je me suis dit qu’un écrivain valable, de ma génération était enfin apparu. Je me suis précipité sur ses autres textes publiées pendant mon absence : Pinball, 1973 et A Slow boat to China [inédits en français]. J’ai découvert aussi qu’il y avait un autre écrivain de la même génération, Takahashi Gen’ichirô, auteur d’un chef-d’œuvre influencé par Boris Vian. Mais chez Murakami, on ne percevait pas l’influence d’auteurs français contemporains. Il était plutôt proche de la littérature américaine qu’il lisait directement en anglais (Francis Scott Fitzgerald, Raymond Chandler) et était influencé par Kurt Vonnegut ou encore Richard Brautigan. Juste après la publication de La Course au mouton sauvage, j’ai alors publié un long essai s’y rapportant : Jihei to sakoku [Autisme et isolationnisme, inédit en français].
Dans vos cours à l’université, vous utilisez beaucoup les œuvres de Murakami. Pour quelles raisons ?
K. N. : De la fin des années 1980 au début des années 2000, j’ai enseigné en japonais la littérature japonaise, en utilisant à la fois les œuvres de Murakami, mais aussi celles d’autres écrivains. Par ailleurs, lors de séminaires, j’ai étudié de façon plus approfondie le travail de Murakami avec mes étudiants de l’université de Meiji Gakuin, à Tôkyô. A partir de la seconde moitié des années 2000, chargé à l’université de Waseda d’un cours de littérature comparée, j’ai aussi bien utilisé des textes en japonais qu’en anglais. Je m’adressais à la fois à des Japonais et des étrangers. Du temps où j’étais à Meiji Gakuin, nous avons décortiqué l’œuvre de Murakami, ce qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage en trois tomes intituté Murakami Haruki Yellow Pages [L’annuaire Murakami Haruki, inédit en français]. Concernant mon travail à Waseda, j’ai publié fin août 2011 un ouvrage dont le titre est Murakami Haruki no tanpen wo eigode yomu [Lire en anglais les nouvelles de Murakami Haruki, inédit en français]. Alors pour revenir à votre question initiale, voici les raisons pour lesquelles je suis attaché à l’œuvre de Murakami. Premièrement, parce que c’est un auteur qui était très populaire parmi les étudiants. Lorsque j’ai commencé à enseigner, j’avais choisi de travailler sur Murakami Ryû, Takahashi Gen’ichirô, Murakami Haruki et Shimada Masahiko. Mais de ces quatres auteurs, c’était Murakami Haruki qui parlait le plus aux étudiants. Voilà pourquoi, j’ai axé davantage mes cours autour de son œuvre. Deuxièmement, lors de notre travail d’analyse, il s’est avéré que ce sont dans les œuvres de Murakami Haruki que l’on rencontre le plus de parties écrites de façon inconsciente. En se penchant, de plus près, sur la littérature japonaise, il n’y a guère que dans les œuvres de Natsume Sôseki que l’on trouve cela. Enfin, de mon point de vue, je trouve que c’est l’auteur le plus stimulant de sa génération. Il a été celui qui a saisi le plus tôt le sens de notre époque et qu’il l’a matérialisé dans son œuvre. Dans Les Amants du Spoutnik, par exemple, il présente Miu, l’héroïne japonaise d’origine coréenne, de façon très éloignée du politiquement correct auquel on était habitué jusque-là, la décrivant un peu comme une Française. Cette approche est, sans doute, la première tentative de ce genre dans la littérature japonaise contemporaine. Dans Le Passage de la nuit, le personnage féminin apprend le chinois et finit par s’embarquer pour Pékin avec une casquette de l’équipe des Red Sox de Boston vissée sur la tête. A posteriori, on ne peut que constater l’anticipation avec laquelle il a saisi la transition “des Etats-Unis vers la Chine” et la manière symbolique dont il l’a traduite. Bien évidemment, on ne peut pas saisir le Japon contemporain avec ces deux seuls exemples, mais, de mon point de vue, il est un des rares auteurs japonais actuels qui parvient à montrer ces évolutions très intéressantes.
Au regard de ce que vous dites, comment Murakami peut-il s’inscrire dans le Japon de l’après-séisme ?
K. N. : Dans son discours prononcé lors de la remise du Prix international de Catalogne, il a clairement affirmé que le Japon devait se libérer de ses liens avec le nucléaire. C’était une déclaration indispensable. Il est aujourd’hui un écrivain japonais de premier plan. Le fait qu’il se soit exprimé d’abord en japonais signifie qu’il voulait partager une pensée profonde et précise autant que possible et qu’elle soit perçue en tant que telle. Le discours a ensuite été traduit en anglais, mais sans doute avec le manque de précision habituel. Quoiqu’il en soit, il faut que chacun puisse exprimer les choses avec ses propres mots. Pour moi, il est significatif que Murakami ait eu cette attitude pour la première fois. L’année dernière, j’étais au Danemark pour participer à une rencontre entre Murakami et ses fans. Il s’est exprimé en anglais et j’ai été un peu déçu car je pensais qu’il aurait pu répondre avec plus de sincérité y compris à des fans qui posaient des questions un peu idiotes. A Barcelone, il s’est exprimé en japonais et on a pu sentir son engagement. Ce n’était pas seulement celui de l’écrivain lui-même, mais il s’agissait de cet engagement voulu par tous ceux qui portent la voix du Japon, y compris Murakami.
Propos recueillis par Odaira Namihei