Au Japon, la presse régionale joue un rôle important. Les événements tragiques de mars l’ont une nouvelle fois démontré.
L’actualité française de ces derniers jours s’est concentrée sur le sort de Dominique Strauss-Khan. On a ainsi pu suivre en direct les déboires de l’ancien patron du Fonds monétaire international avec la justice américaine grâce notamment à Twitter. Les journalistes présents dans la salle d’audience pouvaient ainsi informer minute par minute des décisions prises par le juge. Dans notre monde hypermédiatisé, nous n’avons même pas été surpris de constater que l’envoyé spécial qui attendait devant le tribunal était lui-même tributaire des tweets de son collègue installé à quelques mètres de lui dans la salle des débats. Nul doute que nous aurons désormais bien du mal à nous passer de cette immédiateté à l’avenir dès qu’un événement important se déroulera quelque part dans le monde. Pourtant, il faut se rendre à l’évidence : certaines situations ne permettent pas de répondre à ce besoin de rapidité. La catastrophe du 11 mars est venue nous le rappeler. Ce jour-là, sur la côte nord-est du Japon, la violente secousse de magnitude 9 (initialement évaluée à 8,8) et le tsunami qui l’a accompagnée ont réduit à néant la plupart des infrastructures à commencer par l’électricité et les réseaux de télécommunication. En l’absence d’outils modernes, on en est revenu aux bonnes vieilles méthodes du journalisme avec le stylo et le papier. A Ishinomaki, cité portuaire qui a subi de plein fouet la vague meurtrière, le quotidien local Ishinomaki Hibi Shimbun n’était plus en mesure d’informer ses lecteurs via son site Internet ou même d’imprimer quoi que ce soit. Ils ont donc sorti de grandes feuilles de papier et composé un quotidien ex-nihilo (voir Interview ci-dessous) en écrivant des articles et en les recopiant pour les distribuer dans les centres d’évacuation. “La particularité des journaux locaux, c’est qu’ils sont en mesure de répondre au besoin d’information des sinistrés avec des données précises que l’on récolte et vérifie avant de les publier”, confirme Katô Takuya, directeur de la rédaction du Fukushima Minyû, quotidien de la ville de Fukushima située à une soixantaine de kilomètres de la centrale nucléaire du même nom qui est rapidement sous les feux de l’actualité. Quand on interroge les responsables de ces publications locales, la plupart d’entre eux insistent sur le service à rendre au public, en lui donnant un maximum d’informations précises qui lui permettra de se forger son opinion. “Dans le cas de l’accident à la centrale de Fukushima Dai-ichi, il ne s’agissait pas pour nous de passer pour le bulletin officiel des autorités préfectorales ou nationales. Nous avons écrit des articles après avoir évalué et contrôlé les informations que l’on nous fournissait. Sur le sujet sensible des radiations, alors que tous les chiffres n’étaient pas fournis au niveau national, nous avons pu apporter des données concrètes à nos lecteurs après avoir enquêté sur place”, ajoute Katô Takuya. Une démarche que revendique aussi Nozawa Tatsuya, patron de l’Iwaki Minpô. Ce dernier se montre aussi très sévère à l’égard des grands médias nationaux dans la manière dont ils ont couvert le terrain. “Suite à l’accident à Fukushima Dai-ichi, les journalistes des principaux médias ont quitté Iwaki (située à 45 kilomètres au nord de la centrale). Du coup, les informations sur la situation autour de la centrale ont quasiment disparu des télévisions et des colonnes des grands journaux. Par ailleurs, comparée à d’autres zones, Iwaki a été moins touchée. Il n’y avait donc pas d’images fortes à montrer, pas de bateau sur le toit d’un immeuble par exemple. Nous sommes restés et nous avons accompli notre travail consciencieusement. Pour moi, l’idée noble que je me faisais des grands médias a disparu avec cette catastrophe”, explique-t-il avec amertume. Au Kahoku Shimpô, principal quotidien de Sendai, ville d’un million d’âmes fortement touchée par le séisme, la plupart des efforts ont porté sur le reportage sur le terrain. “Dans ce genre de situation, le papier reste le meilleur moyen d’être informé”, affirme Aida Saburô, l’un de ses administrateurs. Malgré le chaos qui régnait alors, le Kahoku Shimpô n’a pas cessé ses activités. Dans les minutes qui ont suivi le tremblement de terre une édition spéciale a été distribuée gratuitement dans la ville. “Nous avons ensuite été à la rencontre des sinistrés pour recueillir leurs témoignages et évaluer les dégâts différents d’un quartier à l’autre. Toutefois, il ne s’agissait pas de faire du catastrophisme, notre optique a été plutôt d’aider à surmonter la catastrophe elle-même, en fournissant des informations pratiques, et de nous projeter vers l’avenir. Plusieurs de nos articles ont d’ailleurs été repris par d’autres journaux du pays, ce qui a permis de faciliter les actions entreprises pour venir en aide aux régions touchées”, ajoute Aida Saburô. Le travail réalisé par ces titres de la presse régionale a permis de combler de façon efficace l’absence de tous ces nouveaux outils de communication vis-à-vis desquels nous sommes devenus dépendants. “Vivre sans électricité ou sans eau et avec un minimum de nourriture, ce n’est pas évident, mais vivre sans accès à l’information, c’est pire que tout”, explique un habitant d’Ishinomaki qui se fécilite des efforts consentis par son journal local pour maintenir le fil de l’info.
Odaira Namihei
Dans les heures qui ont suivi le séisme…
Le 11 mars, quelques minutes après la violente secousse et l’arrivée du tsunami, le Kahoku Shimpô, principal quotidien de Sendai, publiait une édition spéciale (gôgai) annonçant que la préfecture de Miyagi avait été frappée par un très violent séisme. Plus au sud, le Fukushima Minyû évoquait dans son édition du 12 mars la situation d’urgence à la centrale de Fukushima. De son côté, l’Iwaki Mimpô soulignait le même jour qu’il s’agissait du tremblement de terre le plus fort jamais enregistré dans l’archipel.
Ômi Kôichi, directeur de l’Ishinomaki Hibi Shimbun
Avec 3014 morts (au 21 mai 2011), la ville d’Ishinomaki a été durement touchée par le séisme et le tsunami du 11 mars. Le principal quotidien de la cité a joué un rôle important dans les jours qui ont suivi.
Que s’est-il passé au journal juste après le séisme ?
Ômi Kôichi : Nous avons réfléchi à la manière dont nous pouvions réagir alors que les principaux relais avec les sinistrés étaient coupés. Nous avons décidé de réaliser et d’afficher un journal écrit à la main dans lequel nous rapporterions quelques informations clés et apporterions un peu de réconfort aux victimes.
Quels ont été les dégâts au niveau humain et matériel pour votre journal ?
Ô. K. : Le bâtiment a été en partie submergé par la vague. Sur nos trois rotatives, une a été endommagée. Sur le plan humain, un de nos reporters s’est retrouvé prisonnier des flots. Il a néanmoins réussi à s’accrocher à des débris et pu être sauvé le lendemain par un hélicoptère. Un autre de nos journalistes a tenté d’échapper au tsunami en voiture pour aller se réfugier sur les hauteurs. “J’ai eu l’impression d’être pris en sandwich entre la montagne et les tonnes de débris charriées par les flots plutôt que de pouvoir être avalé par le tsunami”, nous a-t-il raconté. Il a eu la peur de sa vie. Quand l’eau a commencé par se retirer, j’ai pris une bicyclette pour aller évaluer les dégâts dans la ville avant de revenir et de décider ce que nous allions faire. Après la publication de notre journal manuscrit, trois employés ont passé la nuit dans leur voiture et les autres ont trouvé refuge dans un centre d’évacuation.
Quelle a été votre politique en matière d’information après le séisme et comment vos lecteurs y ont réagi ?
Ô. K. : Comme nous étions nous-mêmes des victimes, il nous a semblé indispensable de rapporter une information claire et précise sur ce qui était arrivé. Les sinistrés dont nous faisions aussi partie souhaitaient comprendre ce qui s’était passé ce jour-là à 14h46. Cela passait d’abord par une information vérifiée qui rapporte la réalité de la situation. Nous avons tout fait pour y parvenir afin d’éviter que la publication d’informations non vérifiées entraîne la confusion voire la panique. Le seul fait d’avoir publié ce journal manuscrit a été bien reçu par la population et cela a donné du crédit à notre travail.
En cas de catastrophe, quelle doit être la mission première d’un journal ?
Ô. K. : Puisque le séisme et le tsunami ont touché notre région, notre principale mission a été d’en rendre compte auprès des victimes et des personnes vivant à l’extérieur de la zone. Comme je l’ai déjà dit, cela passe par la publication d’informations confirmées. Mais notre rôle est également de relayer les communiqués officiels, de rapporter la situation dans les centres d’évacuation, en publiant le nombre des personnes concernées et en dressant une liste précise district après district. Il fallait aussi évaluer les besoins pour l’avenir et informer sur l’état réel des infrastructures qui varie d’un endroit à un autre.
Des voix comme celle du maire de la ville de Minami Sôma ont critiqué les grands journaux dans leur façon de faire leur travail. Qu’en pensez-vous ?
Ô. K. : En dehors des zones sinistrées, les journaux se livrent à une forte concurrence dont l’élément déterminant est la vitesse à laquelle ils publient une information. Voilà pourquoi les reportages réalisés par téléphone ne permettent pas d’évaluer correctement la réalité de la situation. Bien sûr cette façon de procéder convient aux lecteurs situés dans les régions qui n’ont pas été touchées, mais je comprends la colère de ceux qui, comme le maire de Minami Sôma, s’insurgent contre ces méthodes. Il est indispensable de se déplacer dans les zones touchées pour mesurer l’ampleur réelle des destructions. Les médias locaux comme le nôtre n’ont pas la même approche de la question. Nous devons répondre aux besoins des lecteurs sinistrés.
Propos recueillis par O. N.