La modeste salle attire de nombreux nostalgiques de l’âge d’or du cinéma. / Eric Rechsteiner pour Zoom Japon Le Bluebird est le dernier cinéma de la ville. Malgré les nombreuses difficultés, sa directrice ne baisse pas les bras. Beppu, au nord-est de Kyûshû, est célèbre dans tout le Japon pour ses onsen (sources d’eau chaude) brûlantes. Mais au cours des dernières années, un petit cinéma sans prétention s’est imposé comme une nouvelle attraction touristique.Le Bluebird (burû bâdo gekijô) est l’un de ces endroits que les amateurs de cinéma veulent visiter au moins une fois dans leur vie. Ouvert en 1949, c’est un vestige d’une époque très différente où les cinémas étaient des entreprises familiales, et non des branches impersonnelles de grandes sociétés. Aujourd’hui encore, 70 ans plus tard, le Bluebird semble avoir figé le temps comme pour dire que l’âge d’or du cinéma des années 1950 n’a pas tout à fait disparu.Bien que cette salle ait une capacité d’accueil limitée, elle possède une atmosphère unique que les cinémas modernes n’ont pas, à commencer par ses sièges rouges flamboyants et un long canapé rouge au premier rang. Son hall d’entrée est un capharnaüm d’affiches, de photos et d’objets d’antan, et la billetterie est toujours occupée, par sa propriétaire et gérante, Okamura Teru, 89 ans. Née seulement sept ans après la fondation de la ville de Beppu, elle travaille au Bluebird depuis que le cinéma a été ouvert par son père Bensuke. “A l’époque, je terminais le lycée et la salle s’appelait le Bluebird Theater”, explique-t-elle. “Je me souviens que le premier film projeté fut Blanche-Neige de Disney. J’ai rejoint mon père dès que j’ai eu mon diplôme.”Au début, la salle se trouvait au rez-de-chaussée. Puis, en 1970, après deux rénovations, le mari de Teru a pris la relève de son père et l’a déménagée au premier étage. Mais à peine dix mois plus tard, il meurt soudainement d’un arrêt cardiaque, laissant Teru seule en charge du cinéma. Cependant, la jeune veuve n’a pas renoncé et, avec l’aide de plusieurs personnes, elle a réussi à maintenir la salle en activité jusqu’à ce jour.“Mon mari était toujours plein d’idées”, se souvient-elle. “Il avait l’habitude d’inviter des acteurs célèbres comme Watari Tetsuya et Yamamoto Yôko. Il a même projeté les premiers westerns spaghetti avec Clint Eastwood. Dans les années 1960, le Bluebird s’est spécialisé dans les films de la société de production Nikkatsu et nous avions comme invités des gens comme Hamada Mitsuo et Asaoka Ruriko. Mais la Nikkatsu s’est ensuite tournée vers les films de roman porno, et nous avons donc commencé à nous concentrer sur les œuvres de la Shôchiku. Au cours des 70 dernières années, j’ai vu tellement de grands films, mais mes préférés sont Chantons sous la pluie (1952), Docteur Jivago (1965) et Kamata Kôshinkyoku (Fall Guy, 1982) de Fukasaku Kinji.”En parlant de la Shôchiku et de ses films axés sur la vie quotidienne des gens ordinaires, Okamura Teru aime particulièrement l’époque où Beppu a servi de lieu de tournage au film Hana mo arashi mo Torajirô (Tora-san, the Expert, 1982), 30e épisode de la populaire et longue série cinématographique Otoko wa tsurai yo [C’est dur d’être un homme] de Yamada Yôji (voir Zoom Japon, n°49, avril 2015). “Tora-san était très populaire, bien sûr, mais la chance de voir notre ville sur grand écran a attiré encore plus de monde. La salle du Bluebird était pleine à craquer”, se rappelle-t-elle. “Quand le tournage du film était sur le point de se terminer, j’ai entendu dire que Yamada Yôji et l’acteur principal Atsumi Kiyoshi restaient tous deux à Beppu. J’ai alors demandé au maire de Beppu, Wakiya Nagayoshi, de m’aider à faire venir Atsumi sur scène pour saluer notre public. Comme il était très inhabituel que le directeur d’une salle de cinéma soit une femme, cela a attiré l’attention de Yamada. Toujours est-il qu’Atsumi a accepté de nous rendre visite. Lorsque Wakiya, qui ressemblait à l’acteur, l’a rejoint sur scène, ils ont fait comme s’ils étaient frères.” A la fin, cet épisode a permis au maire...