Puisque vous évoquez de nouveau Hirohito, je voudrais vous interroger sur le système impérial. Jusqu’en 2004, par exemple, le Parti communiste japonais était absolument opposé à l’existence de la Maison impériale. Aujourd’hui, bien qu’il se montre plus modéré sur cette question, il souhaite la création d’une république démocratique. Par ailleurs, l’empereur actuel (qui devrait abdiquer l’année prochaine) et la famille impériale dans son ensemble semblent être extrêmement populaires au Japon. Quel est votre avis à ce sujet ? T. G. : Le grand problème pour moi est que le système de l'empereur et la Constitution ne vont pas bien ensemble. C’est-à-dire ? T. G. : C'est une question complexe qui nécessite une longue explication. Tout d'abord, la Constitution n’est pas vraiment claire sur ce que l'empereur est censé faire. Certaines de ses tâches y sont clairement énoncées, mais il y a quelques fonctions importantes qui ne le sont pas : exécuter des rites religieux à l'intérieur du Palais impérial et voyager à travers le pays et le monde pour réconforter l’esprit des morts ce qui signifie, en particulier pour Akihito, de s’excuser pour les actions épouvantables menées par l’armée japonaise pendant la guerre. Ce sont des obligations très exigeantes et Akihito - qui a 84 ans - pense ne plus être en mesure de les exécuter. C'est pourquoi il a exprimé son désir de démissionner en 2019. Cependant, pour moi, un autre point est encore plus controversé. Selon la Constitution, l'empereur est le symbole de la nation japonaise. Cependant, tous les droits de l'homme qui sont généralement garantis par la Constitution lui sont refusés. En d'autres termes, il n'est pas libre de s’exprimer, ne peut pas choisir un travail et n’est pas vraiment libre d’épouser qui il veut. Pour moi, cette situation est assez étrange. J’ai même posé la même question à un expert en matière constitutionnelle, qui se trouve être un ami, et il a admis que c’était une question épineuse. Ainsi, dans ce contexte, je pense que la meilleure solution est de revenir à la situation d’avant l’ère Meiji : c’est-à-dire de transformer la maison impériale en une sorte d’organisation religieuse et ramener le Palais impérial à Kyôto. De cette façon, nous pourrions séparer l’État et la religion et transformer la Constitution en un ensemble de principes véritablement laïcs. Enfin, je ne peux pas comprendre pourquoi l’élite politique actuelle s’oppose à la succession féminine au trône. Selon les sondages, non seulement la plupart des gens ne cachent pas leur envie de voir une femme monter sur le trône; dans le passé, nous avons eu huit impératrices, la dernière ayant abdiqué en 1771. En outre, selon la mythologie japonaise, les empereurs sont considérés comme des descendants directs d’Amaterasu, la déesse du soleil. Vous voyez, même la principale divinité du shintoïsme est une femme ! Cette supposée tradition réservée aux hommes n’a que 150 ans environ. Cela nous ramène à ce que je disais à propos de la nécessité de connaître le passé, car il s’avère...