Tôkyô la capitale voudrait bien faire un peu d’ombre à sa voisine Kyôto qui monopolise trop l’attention des touristes. Le 22 mai dernier, une page s’est tournée dans l’histoire de la capitale japonaise, ouvrant même un nouveau chapitre. La raison de ce bouleversement s’appelle Tôkyô Sky Tree, une immense tour de 634 mètres implantée non loin des rives de la Sumida dont l’écrivain Nagai Kafû a fait le thème d’un de ses romans publié au début du siècle dernier. L’ouverture au public de ce nouvel édifice participe d’un vaste rééquilibrage de la ville qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a davantage regardé vers l’ouest qu’en direction de l’est, c’est-à-dire de Shitamachi, la ville basse, où se concentraient les artisans et les divertissements populaires. Pendant plusieurs décennies, en particulier à partir de 1959, le phare de la capitale s’appelait la tour de Tôkyô. Ressemblant à la tour Eiffel, elle était le symbole de la reconstruction du pays et de sa sortie de l’“après-guerre”. L’acier qui la compose est celui que les entreprises sidérurgiques nippones avaient produit en surplus pour fabriquer les chars destinés à l’armée américaine pendant la guerre de Corée (1950-1953). Tour de communication, la tour de Tôkyô a facilité l’avènement de la télévision. Elle a surtout accompagné le développement des quartiers ouest de la ville, lesquels sont devenus les hauts lieux de la consommation, voire de la contestation comme Shinjuku. Dans la littérature contemporaine des quarante dernières années, les écrivains ont plutôt concentré leur intérêt sur le Tôkyô devenu un des symboles de la mondialisation avec ses boutiques chics et les problèmes qui découlent de cette tendance à la surconsommation. Une littérature en complet décalage avec celle d’un Kawabata Yasunari qui était bien ancrée dans la partie orientale de la capitale comme Asakusa. La tour de Tôkyô ne va pas disparaître avec l’inauguration de Tôkyô Sky Tree, mais il est évident que tous les regards se tournent vers cette grande tige de 634 mètres qui est avant tout, elle aussi, une tour de communication. Il ne s’agit plus d’émettre des signaux analogiques, mais des signaux numériques. Le Japon a basculé complètement, en juillet 2011, dans l’ère numérique. Il était indispensable de disposer d’un relais de haute taille pour faciliter la propagation des ondes, critère que ne remplissait plus la tour de Tôkyô. Depuis le lancement des travaux de construction de Tôkyô Sky Tree en 2008, les habitants de la capitale ont commencé à redécouvrir les charmes de cette partie de la ville qu’ils avaient négligée pendant tant d’années. Dans les anciens ateliers, de jeunes créateurs sont venus s’installer, fuyant les prix astronomiques pratiqués plus à l’ouest. Des cafés qu’on dirait branchés en France ont ouvert leurs portes, attirant une clientèle en quête de différence, parce que lassée des chaînes américaines standardisées. Dans ces nouveaux lieux, on discute, on vient écouter de jeunes musiciens et on veut respirer un autre air. L’architecte Nishizawa Ryûe, qui a cofondé l’agence SANAA avec Sejima Kazuyo, justifie le déménagement de ses bureaux à Tatsumi, quartier au sud-est de la capitale, par l’absence de spectacles de rakugo (monologue humoristique dont la tradition remonte au XVIIème siècle) à Shibuya ou Ebisu alors qu’on en trouve beaucoup à l’est de la ville. Cela peut paraître anecdotique, mais cela illustre parfaitement l’état d’esprit qui règne actuellement à Tôkyô. Dès lors, on...