Quel est votre premier souvenir qui se rattache à Kurosawa ?
Hamano Yasuki : C’est Barberousse (Akahige) en 1965. Mon père m’avait emmené le voir. J’étais alors au collège. A la fin de la projection, je me suis dit que plus tard je voudrais faire un travail en rapport avec cet homme. Aujourd’hui, ma fille travaille aussi dans le milieu du cinéma. Je pense qu’elle a dû vouloir faire ce métier après avoir vu Barberousse que je lui avais montré lorsqu’elle était collégienne.
Est-ce que Kurosawa a encore une influence dans le cinéma ?
H. Y. : Beaucoup de cinéastes reconnaissent que Kurosawa a contribué à la diffusion du cinéma japonais dans le monde. Cependant il y a aussi de jeunes cinéastes qui rejettent l’idée selon laquelle le cinéma japonais se résume à celui de Kurosawa. Reste que de nombreux réalisateurs admettent avoir été influencés par l’œuvre de Kurosawa et expriment leur respect à son égard. Récemment plusieurs remake de ses films ont été réalisés. Cela ne concerne pas seulement le cinéma, mais aussi la télévision, les dessins animés et même le manga. Je pense que cela contribue à entretenir son influence. L’écrivain Inoue Hisashi, décédé au printemps dernier, expliquait qu’il appréciait de vivre à la même époque que celle de Kurosawa et il justifiait ses propos en évoquant les films de Kurosawa.
Quand on parle du cinéma de Kurosawa, le terme qui revient le plus souvent pour le caractériser est humanisme. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
H. Y. : En ajoutant lui-même la dernière scène dans son film Rashômon, Kurosawa a voulu qu’il se termine sur une touche d’humanisme. En fait, dans son expression cinématographique, il n’a jamais pu se départir de cet humanisme. Yamamoto Kajirô, le mentor de Kurosawa, lui avait déclaré dans une conversation qu’il avait eue avec lui en 1946 juste après la défaite la chose suivante : « Quelle voix doit emprunter l’art ? On peut dire qu’elles sont nombreuses et compliquées, mais en définitive, la seule qu’il vaille, c’est celle de l’humanisme. Pour la trouver, je pense que cela nécessite un investissement passionné ». Si Yamamoto est devenu son mentor, c’est parce qu’il était un homme qui défendait ce principe d’humanisme. En 1990, Kurosawa a dit de lui qu’il était « un pleurnichard humaniste », ce qui prouve que cette valeur était profondément ancrée en lui. D’ailleurs, ne se demandait-il pas souvent pourquoi les gens ne peuvent-ils pas vivre en harmonie ?
Vous avez récemment publié un ouvrage en quatre volumes sur Kurosawa. A-t-il été difficile à réaliser ?
H. Y. : Les livres consacrés à Kurosawa sont très nombreux, y compris à l’étranger. Mais les ouvrages conçus à partir des propres documents de Kurosawa sont rares et ceux sans erreurs encore plus. Les textes écrits par Kurosawa peuvent être considérés dans un certain sens comme des œuvres à part entière, car ils expriment les pensées et les envies du cinéaste. Mais Kurosawa s’est donné corps et âme à la réalisation de ses films. A cause de cela, ce qu’il avait écrit a été dispersé et la société Kurosawa Production a eu bien du mal à les conserver. Cela a donc représenté un travail de collecte difficile. Beaucoup de documents datant des années avant la Seconde Guerre mondiale ont été détruits lors des bombardements. Il a fallu dix ans pour réunir les textes rédigés par le réalisateur lui-même. Par ailleurs, la popularité de Kurosawa a contribué à accroître la valeur des documents le concernant. De grosses sommes d’argent ont donc été nécessaires pour réunir une partie de la documentation. Enfin, Kurosawa est une légende vivante. A ce titre, beaucoup de médias réclamaient la possibilité d’avoir accès à ses écrits et demandaient des articles. C’est tout cela que j’ai compilé dans mon livre Taikei Kurosawa Akira [Compilation Kurosawa Akira, éd. Kôdansha, inédit en français].
Qui est Kurosawa pour les Japonais d’aujourd’hui ? Un homme du passé ? Un homme moderne ?
H. Y. : Si je prends l’exemple de Miyazaki Hayao, je sais qu’il est très proche de Kurosawa dans les thèmes qu’il aborde, sa façon de les exprimer ou encore sa personnalité. Je crois que les deux hommes ont de très nombreux points communs que ce soit au niveau de leur sens de la justice ou celui du divertissement.
Propos recueillis par Odaira Namihei