Vous êtes originaires de Hokkaidô. On a souvent dit que vos racines régionales avaient une grande importance pour vous. Pour quelles raisons y êtes-vous attachés ?
Boss : La raison en est toute simple. C’est la région qui nous a vus naître, où nous avons grandi et où nous résidons encore. Jusqu’à ce que nous formions Tha Blue Herb, tout le business du hip-hop était concentré à Tokyo. Les labels, les maisons de disques, les médias, tout passait par la capitale. Les personnes originaires de province, si elles voulaient percer, devaient oublier leur passé, leurs racines pour s’installer à Tokyo et faire du rap. Et on voyait des MC (maîtres de cérémonie) venir de la capitale pour faire des concerts à Hokkaidô et tomber les filles. C’était en quelque sorte la mise en place d’un système de soumission. Ce système était vraiment insupportable. Si on n’arrivait pas à se faire accepter par quelqu’un, on n’avait aucune chance de sortir un disque. Nous ne pouvions plus tolérer cette situation. A Hokkaidô, il y avait tout un tas de personnes dont nous pouvions étudier la musique. Nous nous en sommes beaucoup inspirés. En produisant un son qui ne pouvait provenir que de cet endroit, nous avons réussi à retourner la situation qui voulait que tout se décide à Tokyo. Désormais, on constate une tendance similaire dans d’autres parties du Japon. Il y a plein d’endroits sympas dans ce pays. Et même si nous avons plein d’amis dans tout l’archipel, nous aimons revenir à Hokkaidô, à Sapporo, cette ville recouverte par la neige où j’aime écrire.
Quels sont les sujets qui vous inspirent ?
Boss : Ça dépend beaucoup du moment où j’écris. Je m’intéresse évidemment beaucoup à la situation dans laquelle se trouve le Japon actuellement et à son avenir. Le Japon est un pays tranquille, mais cela a un prix, celui d’une société sous contrôle. C’est aussi un pays où il existe de merveilleuses traditions, mais il y a également tout un tas de choses démodées que nous ne pouvons plus accepter. Il y a aussi ce voisin à l’ouest dont l’appétit de dragon est en train de se réveiller. Vous voyez, les sujets d’inspiration ne manquent pas.
J’imagine que vous rencontrez de nombreux musiciens japonais et que vous en écoutez aussi beaucoup. J’aurais aussi voulu avoir votre sentiment sur Imawano Kiyoshirô.
Boss : Nous participons à de nombreux concerts. C’est l’occasion pour nous de rencontrer des musiciens de grand talent. Mais chez moi, je n’en écoute pas beaucoup. J’ai bien sûr des montagnes de CD que j’ai achetés, mais que je n’ai pas écoutés (rires). En revanche, il m’arrive souvent d’écouter Imawano Kiyoshirô. Avec des potes, après une petite fête, quand la lumière du jour commence à poindre dans ciel de Hokkaidô, je passe souvent la reprise qu’il a faite d’Imagine de John Lennon.
Vos compositions sont bien sûr très connues à Hokkaidô et dans le reste du Japon. Ne pensez-vous pas que les chansons de Tha Blue Herb puissent s’exporter ? Viendriez-vous en France si on vous le proposait ?
Boss : Bien sûr. Toutefois, il faut se souvenir que l’on fait du rap. De même que de nombreux rappeurs étrangers viennent se produire au Japon, les spectateurs japonais ne comprennent pas toujours ce qu’ils racontent. Reste que si l’on s’applique bien, on finit par faire passer quelque chose. Et c’est ça qui compte. Voilà pourquoi j’aimerais beaucoup que Tha Blue Herb puisse se produire en France par exemple. Il y a la barrière de la langue et ce n’est pas forcément facile à surmonter. Mais en nous appliquant, il est tout à fait possible de passer outre. Cela prend un peu plus de temps pour faire passer le message. Je sais qu’on nous écoute en France. Nous avons reçu des messages de Français qui nous disaient qu’ils appréciaient notre musique et qu’ils nous écoutaient régulièrement. C’est franchement cool. Reste maintenant à aller un peu plus loin. Si parmi les très bons rappeurs français, il y en avait qui se lançaient dans la traduction de notre travail, ce serait vraiment génial.
Un petit mot pour nos lecteurs ?
Boss : J’espère que nous pourrons nous rencontrer un de ces jours lors d’un concert en France.
Propos recueillis par Gabriel Bernard