Faire rire dans une langue qui n’est pas la sienne, c’est le tour de force réalisé par ce Turc de 34 ans plein de finesse.
Arrivé pour la première fois au Japon en 2001, Halit Mizirakli n’aurait jamais imaginé qu’il serait un jour connu dans l’archipel sous le patronyme japonais Warattei Harito et qu’il deviendrait un rakugoka, un conteur d’histoires humoristiques, apprécié et reconnu par le public. « J’avais entrepris l’étude de la langue japonaise à l’université en Turquie. Cela m’a permis d’obtenir une bourse d’une année à l’université de Tsukuba. C’est là que j’ai découvert le rakugo. A mon retour à Istanbul, j’ai décidé d’approfondir mes connaissances sur le Japon avant de recevoir une nouvelle bourse de l’Etat japonais pour étudier la japonologie à l’université d’Osaka. Comme le rakugo m’avait beaucoup séduit, je voulais m’investir dans ce domaine. La japonologie pouvait m’y aider, car elle embrasse plusieurs disciplines issues des sciences sociales. Je m’y suis alors plongé », raconte-t-il. Sa présence à Osaka tombait plutôt bien. La capitale du Kansai est célèbre pour son humour. Elle possède encore de nombreuses salles de spectacles où se produisent ces artistes dont les seuls accessoires sont un coussin, un éventail et un morceau de tissu. Toujours à genoux, ils racontent une histoire où s’entremêlent plusieurs personnages. Leurs déboires finissent toujours par faire éclater de rire le public qui boit littéralement les paroles du conteur. “Ma prof de japonais à l’université de Tsukuba utilisait souvent le rakugo dans ses cours, en particulier les histoires racontées par Yanagiya Kosan, l’un des plus grands rakugoka malheureusement décédé en 2002. Elle m’a ensuite encouragé à aller voir un spectacle. Ce fut le coup de foudre”, se souvient-il.
Je dois encore acquérir de l’expérience
Il a alors entrepris un long apprentissage auprès de rakugoka renommés, notamment Yanagiya Sankyô qui lui a donné comme nom de scène Warattei Harito. Il a appris que l’artiste sur scène n’interprète pas un rôle au début de l’histoire. “L’une des caractéristiques du rakugo, c’est que l’acteur se situe entre la réalité et la fiction. Ce n’est pas très facile à expliquer, mais c’est la base du genre”, explique Halit Mizirakli. En effet, l’acteur met le public en condition, le préparant à découvrir les rôles qu’il va finir par interpréter. “Parfois les spectateurs sont un peu perdus. Ils ne savent pas si l’acteur joue un rôle ou non. Ils se demandent si la dernière phrase prononcée l’a été par le personnage ou le conteur. Même si cela n’a pas vraiment d’importance, cela participe du spectacle. Les gens adorent que l’on mélange la fiction et la réalité. Ça les amuse beaucoup”, ajoute le jeune rakugoka dont le talent a été récompensé en 2010 par le Grand prix de la ville de Gifu lors d’une compétition rassemblant les meilleurs artistes du moment.
Evidemment, pour atteindre ce niveau, il faut non seulement être bon acteur, mais aussi et surtout avoir une maîtrise parfaite de la langue de Mishima. Un domaine dans lequel excelle Halit Mizirakli. Il est heureux d’avoir été reconnu par ses pairs, mais il voudrait que le public le juge de la même façon. “Les spectateurs viennent souvent voir un Turc sur scène et manifestent leur envie de le soutenir. J’en suis bien sûr ravi, mais je suis un peu frustré en tant qu’acteur. Je voudrais qu’ils apprécient ma performance avant toute autre considération. Parfois je me dis que si j’interprétais les histoires en turc, ils accorderaient davantage d’attention à mon jeu d’acteur. Voir un Turc raconter des histoires en turc, ça serait peut-être plus naturel pour eux”, dit-il avec une pointe de regret. L’impatience de la jeunesse ? Sans doute, car il ajoute très vite que la relation entre le rakugoka et son public prend du temps. “Quand quelqu’un vient pour la première fois à un spectacle de rakugo, il ne peut pas apprécier tout de suite le jeu de l’acteur. S’il revient plusieurs fois, c’est là que la sauce prendra ou non. Je dois encore acquérir de l’expérience”, reconnaît-il. Même si son apprentissage n’est pas terminé, il est néanmoins satisfait d’avoir franchi toutes ces étapes. “La première fois que j’ai vu un spectacle de rakugo, je n’ai pas compris grand chose. Toute la salle riait sauf moi. C’était bien sûr dû à mon niveau de japonais, mais aussi à ma connaissance encore faible de la culture japonaise. Aujourd’hui je comprends le rire japonais et les Japonais, c’est énorme. C’est un atout considérable pour que je puisse aussi promouvoir la culture turque au Japon”, affirme Warattei Harito alias Halit Mizirakli, Turc japonais ou Japonais turc, le visage éclairé par un grand sourire.
Odaira Namihei
Echanges
Soucieux de profiter de sa connaissance du Japon et des Japonais, Halit Mizirakli a décidé de renforcer les échanges culturels entre son pays natal et l’archipel. Il participe notamment au projet du film Ertugrul du nom d’un navire ottoman ayant sombré près des côtes japonaises à la fin du XIXème siècle. Le tournage commencera en 2012 et sera assuré par Tanaka Mitsutoshi. Halit Mizirakli devrait y tenir un rôle. http://warattei.exblog.jp