Le journaliste Kamata Satoshi explique dans ce texte rédigé pour Zoom Japon les raisons qui le poussent à se mobiliser contre l’atome.
La crise liée à la situation de la centrale de Fukushima Dai-ichi n’en finit pas. La question des cadavres abandonnés dans les zones contaminées par la radioactivité demeure. Des centaines de corps ensevelis sous les décombres des bâtiments ont été exposés aux radiations par la pluie ou par le vent. Dans les villes qui ont été incluses dans la zone d’exclusion, il n’y a plus personne. Voilà bien une terrible réalité que personne n’aurait jamais pu imaginer.
Pourtant, la possibilité qu’un tsunami frappe une centrale nucléaire est un cauchemar qui avait été envisagé. Certains avaient imaginé qu’un séisme endommage l’alimentation des réacteurs, que le système de refroidissement d’urgence ne fonctionne pas et que les réacteurs entrent en fusion. Dans le cas de Fukushima Dai-ichi, l’alimentation électrique extérieure a été coupée, les générateurs de secours ont été emportés par le tsunami. Par ailleurs, en raison d’une capacité de stockage trop faible, on a dû ouvrir les soupapes et laisser s’échapper dans l’atmosphère des gaz et des matières radioactives. Il y a sans doute eu également des ruptures de canalisation.
A Tchernobyl, l’explosion du réacteur avait produit un nuage radioactif qui a survolé de nombreuses régions du monde, mais n’avait engendré aucun décès immédiat parmi la population. Dans des films documentaires, on a pu voir le travail des pompiers et des soldats mobilisés pour assurer le travail de liquidation. Aujourd’hui, combien sont encore en vie ? A Fukushima aussi, une équipe de liquidateurs est entrée en action. Les réacteurs susceptibles d’exploser ont massivement été arrosés. L’eau déversée sur des matériaux hautement radioactifs a été en grande partie rejetée dans la mer, entraînant la contamination de la faune aquatique.
Aujourd’hui, employés et sous-traitants vont travailler dans des conditions extrêmes pour éviter de nouvelles explosions. A ceux-là, nous devons dire “ne vous approchez pas des centrales !”, car nous savons qu’il faut arrêter la course au nucléaire. C’est l’argent qui a favorisé le développement du nucléaire. Cela n’a rien à voir avec de quelconques idéaux ou une quelconque philosophie, c’est seulement l’argent et les bénéficiaires de cette manne qui ont déterminé le choix du nucléaire. Les compagnies d’électricité, l’Etat et les collectivités locales ont réussi à noyer ceux qui s’y opposaient avec de l’argent. Il n’y a pas d’autre énergie qui soit tant pourrie par l’argent. Lors des élections locales, les compagnies d’électricité et les entreprises de construction ont uni leurs forces pour soutenir les candidats du Parti libéral-démocrate [formation politique qui a dominé la scène politique japonaise de 1955 à 2009] qui étaient favorables au nucléaire. Les syndicats dans leur ensemble sans oublier le Parti démocrate [au pouvoir depuis 2009] ont approuvé le nucléaire, donnant ainsi naissance à un système pro-nucléaire bien huilé. Lorsqu’un responsable local se demandait si le nucléaire était sûr, tous répondaient d’une seule voix : “L’Etat s’en porte garant”.
J’ai beaucoup écrit à ce sujet dans les régions qui abritent des centrales :
“Un jour, la télévision annoncera : “Grave accident à la centrale de XX. Tout le personnel doit être évacué.” Mais attention, ce jour-là, vous serez attaqués par des radiations invisibles. Il n’y aura ni lumière, ni odeur, ni bruit”.
(Garasu no ori no naka de [Dans une cage de verre, inédit en français], 1977)
“Ma principale préoccupation actuelle, c’est de faire en sorte que le Japon renonce au nucléaire avant qu’un accident majeur ne se produise. En d’autres termes, il s’agit de tout faire pour éviter un accident grave avant que toutes les centrales soient arrêtées. Il ne faut pas se retrouver devant ce choix terrible d’attendre un accident nucléaire pour dire qu’il faut arrêter les centrales comme nous avions attendu les deux bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki pour reconnaître enfin la défaite du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale.”
(Genpatsu chitai o iku [Voyage dans les zones nucléaires, inédit en français], 2001)
Pourquoi nous ne pouvons pas faire confiance aux compagnies d’électricité ? Parce qu’elles ne cessent pas de nous dire qu’un accident est impossible. Tandis que les opposants affirment qu’un accident est toujours possible, elles osent dire que ces affirmations ne sont pas scientifiques et qu’il n’y a absolument aucun risque d’accident. En cas d’accident nucléaire, même si le gouvernement a décrété une situation d’urgence, elles ont répété : “Aucune radiation ne peut sortir des installations. Gardez votre sang froid et attendez de plus amples informations”. L’Asahi Shimbun a rapporté dans son édition du 12 mars les propos des responsables de Tepco, la société en charge de la gestion de la centrale de Fukushima, selon lesquels “aucun problème n’a été découvert dans le réacteur. Aucune fuite radioactive n’a été détectée”. Ishikawa Michio, membre influent de l’Intsitut japonais des technologies nucléaires, qu’on pourrait qualifier de criminel de guerre dans cette lutte contre les centrales nucléaires, a continué de se montrer rassurant malgré la destruction du bâtiment qui abritait le réacteur et le fait que de grandes quantités de radioactivité aient été rejetées dans l’atmosphère et dans la mer. De son côté, Katsumata Tsunehisa, le patron de Tepco, n’a pas hésité à déclarer qu’il n’avait pas “ressenti la nécessité d’agir” lorsqu’on lui a demandé de s’expliquer sur le retard pris dans l’injection d’eau dans le réacteur. On a continué à affirmer que “le nucléaire était parfaitement sûr” malgré une réalité toute autre. C’est un peu l’esprit kamikaze ou des troupes d’élite que de penser que le Japon ne peut pas faillir.
La promotion du nucléaire s’apparente à une stratégie globale derrière laquelle se sont rangés les médias, les hommes politiques de tout bord, les scientifiques, les bureaucrates, les compagnies d’électricité et les financiers. Mais on ne parle pas ici de “patriotisme”, mais seulement d’“intérêt pour l’argent”. Les opposants aux centrales nucléaires sont soumis à de nombreuses pressions même s’ils ne sont pas envoyés en prison comme ceux qui s’opposaient par le passé à la guerre. L’opposition avait du mal à se mobiliser. Il ne lui manquait que le sentiment d’urgence lié à un accident nucléaire.
Depuis l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi, nous avons beaucoup critiqué le fait que l’avenir des enfants soit compromis et que de nombreuses personnes avaient tout perdu. En affirmant notre opposition au nucléaire, nous voulons en finir avec cette peur entretenue par le système nucléaire qui a affaibli le mouvement. Désormais, en collaboration avec le prix Nobel de littérature Ôe Kenzaburô et d’autres intellectuels, je cherche à mobiliser et organiser des manifestations pour dire “adieu au nucléaire”. Le 19 septembre, nous avons réussi à réunir 60 000 personnes et à lancer le mouvement des 10 millions de signatures. Nous ne voulons plus avoir peur d’un nouvel accident. Actuellement sur les 55 réacteurs nucléaires que le Japon possède, 10 sont en service. Le pays ne souffre pas pour autant de pénurie d’électricité. Cependant, il y a toujours au-dessus de nos tête cette épée de Damoclès. Il faut continuer à harceler le gouvernement pour qu’il ne remette pas en service les centrales en arrêt. Il faut se battre pour les énergies renouvelables et encourager le mouvement contre le nucléaire. Mon rêve est maintenant de parvenir à un monde libéré du nucléaire.
Kamata Satoshi
L’auteur :
Kamata satoshi est né en 1938. Ce célèbre journaliste s’est fait connaître pour ses reportages engagés. Il est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Toyota, l’usine du désespoir [éd. Demopolis, 2008], Japon : l’envers du miracle [éd. La Découverte, 1982].