Avec Mes leçons de sushi, Takeuchi Hisayuki offre un ouvrage d’une rare intelligence sur la transmission de son art.
Il y a ceux qui aiment les romans policiers. Il y a ceux qui préfèrent les histoires d’amour ou les fresques historiques. Il y a les amateurs de bandes dessinées ou de manga. Et puis, il y a ceux qui ont un penchant très prononcé pour les livres de cuisine. Comme les vrais amateurs, ils sont exigeants. Ils ne se contentent pas de la médiocrité. Ils n’achèteront pas, par exemple, les ouvrages déséquilibrés, c’est-à-dire ceux qui accordent trop de place à la photographie et pas assez aux explications ou inversement. Ils refuseront d’acquérir des livres qui oublient l’essentiel, à savoir donner l’envie de prendre soi-même les choses en main pour se lancer dans la réalisation des plats présentés avant, un jour, d’explorer de nouvelles saveurs. Mais il arrive qu’ils tombent sur des ouvrages exceptionnels, des ouvrages qui réunissent à la fois les explications, l’esthétique et le désir de réellement partager un savoir-faire. Après tout, la cuisine, c’est avant tout le partage. Ne dit-on pas que l’on partage un repas entre amis ? Un livre de cuisine, c’est aussi un espace où un professionnel va partager son expérience avec des amateurs pour qu’à leur tour ces derniers partagent le plaisir qu’ils ont eu, en répétant des gestes, en mélangeant des ingrédients, en les cuisinant et en les dressant. Parmi les livres consacrés à la cuisine japonaise, de plus en plus nombreux à mesure qu’elle se popularise, ils sont peu nombreux à répondre à ces critères. Néanmoins il en existe et le plus récent est celui de Takeuchi Hisayuki, chef du restaurant Kaiseki-Sushi sis dans le 15ème arrondissement à Paris. Adapté d’un ouvrage paru en 2008 chez l’éditeur suisse Minerva, Mes leçons de sushi constitue sans doute l’ouvrage le plus abouti dans ce domaine de la cuisine japonaise. Le premier bon point de l’ouvrage, c’est la présentation générale qui met à la fois l’accent sur le résultat avec de magnifiques photographies signées Patrick Aufauvre et sur les différentes étapes qui conduiront l’apprenti cuisinier à obtenir un résultat proche de celui réalisé par le sensei, le maître. Comme il le rappelle fort justement dans l’introduction intitulée Conversation avec le maître, “au Japon, ce n’est pas en interrogeant qu’on apprend, mais plutôt en regardant les gestes du sensei, “celui qui est devant soi”, par son expérience ou par son âge”. Ces quelques mots résument parfaitement la philosophie de ce formidable ouvrage, outil de travail, devrais-je dire. La première fois que j’avais vu le livre, j’avais trouvé un peu prétentieux que le titre Mes leçons de sushi soit accompagné par la mention “par le maître Hisayuki Takeuchi”. Mais en lisant les premières pages, j’ai saisi l’état d’esprit dans lequel il l’avait conçu et réalisé. Ce que je considérais comme de la prétention mal placée était en fait l’expression de son désir de partager avec les autres une expérience obtenue après un long apprentissage. Comme beaucoup de cuisiniers japonais, il a d’abord été attiré par “la gastronomie française que je portais au pinacle” jusqu’au jour où, après son arrivée à Paris, il est allé manger dans des restaurants japonais et a découvert qu’il “n’avait ressenti aucune émotion gustative”. Ce choc l’a amené à revoir son jugement sur “l’apparente simplicité de cet art minimaliste qui [lui] semblait accessoire” et se lancer dans “un travail sur [lui]-même pour mieux appréhender la pratique du sushi”. Dans cet ouvrage paru au printemps 2011, c’est la synthèse de toute cette démarche que l’on retrouve dans la manière d’expliquer les recettes. Voilà qui le distingue de bien d’autres livres de recettes et qui en fait un must. “Et puis, un jour, je suis devenu à mon tour un sensei, auprès de mes élèves, à qui j’ai commencé à transmettre , plus qu’une simple technique culinaire, la pratique artistique que j’avais trouvée pour mon compte”, ajoute-t-il. C’est une belle leçon que Takeuchi Hisayuki nous offre, en plus de quelques savoureuses recettes classiques et des variantes qui vous font saliver avant même d’avoir commencé à les préparer. Mes leçons de sushi appartient donc à cette catégorie d’ouvrages de cuisine qu’il faut avoir chez soi, car ils ne véhiculent pas seulement une technique, mais aussi une philosophie dont on a forcément envie de s’inspirer. Chapeau bas maître Takeuchi.
Gabriel Bernard