Depuis près de 50 ans, Château Ikeda se bâtit une solide réputation dans le domaine de la production de vin.
Lorsqu’on arrive à Ikeda , sur la ligne Nemuro, à 250 km au sud-est de Sapporo, notre attention est attirée par un énorme bâtiment en béton nu qui surplombe la gare. Pour peu que le ciel soit un peu gris, il pourrait faire fantasmer l’amateur de littérature d’horreur. Il ressemble à une immense prison sans fenêtres et le temps d’un instant, on se demande pourquoi on s’est arrêté à cet endroit. On ne se souvient pas que la ville Ikeda soit connue pour sa prison comme d’Abashiri. Sa célébrité, Ikeda la tire de son vignoble et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous vous y êtes rendu. En sortant de la gare, un petit panneau vous indique que Château Ikeda se trouve à une dizaine de minutes à pied. L’énorme bâtiment gris toujours sur la gauche, et vous finissez par comprendre, en ayant suivi les indications portées sur le plan que celui-ci est, en fait, Château Ikeda. La tourelle en béton que vous aviez pris pour un mirador est, en fait, la reproduction d’une tour de château. En se rapprochant, vous découvrez la seule tache de couleur sur l’immense mur de béton : il s’agit d’une grande porte de bois qui, elle, rappelle bien celle des châteaux forts d’antan. On est donc loin des châteaux du Bordelais, c’est-à-dire des grosses maisons bourgeoises. L’architecte d’Ikeda a dû prendre un dictionnaire illustré et a dessiné un château fort plutôt que Versailles, lequel devait aussi figurer parmi les exemples fournis dans son ouvrage de référence. Cette incongruité architecturale convient néanmoins à ce vignoble improbable situé dans une région où la neige tombe en abondance l’hiver et où il peut aussi faire très froid. Autant on comprend pourquoi la préfecture de Yamanashi, au sud-ouest de Tôkyô, s’est lancée dans la production de vin, autant l’idée de planter des vignes à Hokkaidô semble incongrue au premier abord. “Pas du tout”, répond Saitô Akihiko, le maître de chai. “C’est vrai qu’il neige par ici, si le raisin ne pousse pas l’hiver, nous disposons d’un très bon ensoleillement et la terre est excellente”, ajoute-t-il.
L’idée de se lancer dans la production de vin remonte au début des années 1960. A la suite d’un violent séisme qui avait frappé la région et des indemnités versées par le gouvernement japonais, les responsables locaux ont débattu de l’utilisation de cet argent. L’un d’entre eux a suggéré de planter un vignoble et de se lancer dans la production de vin. “Dans la région, il y avait des producteurs de fromage. Peut-être voulait-il disposer de son propre vin pour l’accompagner”, se demande tout haut M. Saitô. Toujours est-il que les premiers pieds de vigne ont été plantés et qu’en 1963 les premières bouteilles ont été produites. Depuis près de 50 ans, Hokkaidô est devenue un centre de production de vin. Château Ikeda est également un centre de recherche où l’on travaille d’arrache-pied à l’amélioration de ce vin qui n’est évidemment pas encore au niveau des meilleurs crus japonais. A plusieurs reprises, M. Saitô s’est rendu en France pour y parfaire ses connaissances afin d’amener son vin vers le haut. “C’est un travail de longue haleine”, reconnaît-il. “Mais cela commence à payer. Nous améliorons notre production et nous nous sommes aussi lancés dans la fabrication de brandy”. Il est confiant, car petit à petit, “le vin de Tokachi se fait connaître auprès d’un public plus large. Les Japonais commencent à consommer du vin pendant leurs repas. C’est encore timide, mais la tendance est là. Nous produisons un vin de table très honorable qui peut les satisfaire”. Dans le vaste hall de Château Ikeda, on voit de nombreux visiteurs qui se font expliquer les spécificités de la production locale. Certains ont déjà deux ou trois bouteilles dans leur panier. Peut-être repartiront-ils avec quelques-unes en plus.
Odaira Namihei