Situé dans le quartier jeune de Shibuya, le magasin est un lieu unique fréquenté par une clientèle curieuse et variée.
Se rendre à Tôkyô sans faire un tour à Tokyu Hands, c’est comme aller à Paris sans passer par les Galeries Lafayette ou voyager à Londres sans s’arrêter, ne serait-ce que quelques minutes, chez Harrods. Les deux grandes enseignes européennes appartiennent au patrimoine de ces deux capitales et symbolisent leur grandeur. Tôkyô possède également des grands magasins semblables à ceux du boulevard Haussmann ou de Brompton road. Matsuzakaya, Mitsukoshi ou encore Isetan ressemblent dans leur conception à leurs modèles parisiens et londoniens si ce n’est que le service y est considéré comme un élément fondamental, ce qui est loin d’être le cas à Paris. Il existe néanmoins un grand magasin qui n’a pas d’équivalent dans le monde, un endroit unique à Tôkyô où on prend vraiment plaisir à se perdre.
Il s’agit de Tokyu Hands dont le vaisseau amiral est implanté à Shibuya depuis septembre 1978. “C’est un lieu qui est impossible à décrire”, confie Fukumoto Kazuhiro qui en assure la direction depuis 18 ans. “Ce n’est ni un grand magasin au sens classique du terme ni une grande enseigne de bricolage ni un dépôt de matériel”. Tokyu Hands est un magasin hybride qui, à l’instar de la voiture inventée par Toyota, rassemble des éléments empruntés aux autres types de magasins pour créer un lieu complètement original et innovant qui attire des foules de curieux. Chaque année, plus de 5 millions de personnes franchissent le seuil des 28 magasins du groupe répartis dans tout l’archipel, mais c’est bien celui de Shibuya qui résume parfaitement l’esprit de cette enseigne bien décidée à cultiver sa différence. A moins de dix minutes à pied de la gare de Shibuya, le bâtiment blanc de Tokyu Hands est connu de tout le monde.
Ouvert 7 jours sur 7, de 10h à 20h30, 364 jours par an à l’exception du Nouvel an, le touriste qui se rend à Tôkyô n’a aucune excuse s’il ne trouve pas un petit moment pour aller à la découverte de cet endroit magique aussi déroutant que peut l’être un labyrinthe conçu par un individu passionné par tout ce qui ne relève pas de la mode vestimentaire. C’était d’ailleurs la volonté affichée par les concepteurs de l’enseigne lorsqu’ils ont décidé de créer leur entreprise en 1976, deux ans avant l’ouverture de leur premier magasin à Shibuya. Contrairement à ce que le nom pourrait laisser entendre, Tokyu Hands n’est pas une branche des grands magasins Tôkyû qui dominent le quartier entourant la gare. La chaîne a été créée par Tokyu Land Corporation, filiale du groupe Tôkyû spécialisée dans l’immobilier. Voilà pourquoi le concept est aussi original. Il ne correspond à aucun modèle existant et son implantation à deux pas de Parco, ouvert en 1973 comme l’un des temples de la mode, illustre parfaitement l’état d’esprit qui habitait alors les promoteurs du projet.
Bâti sur l’ancien site d’une église, Tokyu Hands Shibuya a peut-être bénéficié d’une grâce divine qui lui a permis de séduire au cours des 35 dernières années tant de gens malgré la difficulté de définir en quelques mots son concept. En effet, Tokyu Hands est à la fois un endroit où vous trouvez tout ce qu’il vous faut pour bricoler et vous montrer créatif, mais aussi un lieu où est concentrée une quantité incroyable d’objets du quotidien et de produits dont on n’avait jamais entendu parler avant de mettre les pieds dans l’un des six étages de ce bâtiment organisé en un joyeux bazar. La plupart des personnes qui s’y rendent apprécient de déambuler dans le magasin sans but précis, sachant qu’elles tomberont à un moment ou un autre sur quelque chose qui retiendra leur attention et suscitera leur curiosité. Le personnel de Tokyu Hands est parfaitement formé à cette forme de consommation. Le groupe emploie 2 906 personnes dont 274 pour le seul magasin de Shibuya. Une partie de ces employés sillonne les différents étages pour apporter les informations et les conseils dont les clients peuvent avoir besoin lorsqu’ils se retrouvent face à un objet étonnant ou l’un des deux cents modèles de brosse à dents !
Comme l’explique Wada Kenji dans Tokyu Hands no himitsu [Les Secrets de Tokyu Hands, Nikkei BPsha, inédit en français], le magasin est sans doute à l’origine du concept de “longue traîne” (Long tail) popularisé en 2004 par l’Américain Chris Anderson pour décrire une partie du marché des entreprises telles qu’Amazon qui vendent de nombreux produits, chacun en petite quantité. Il ajoute que Tokyu Hands est parvenu à créer une atmosphère où règnent le plaisir et l’attractivité sans que cela soit ostentatoire. C’est sans doute pour cette raison que le magasin est fréquenté par une clientèle très variée. Hommes et femmes, jeunes et vieux, mordus de bricolage ou amateurs d’activités créatives, étudiants et écoliers, chacun y trouve son bonheur. “Tout le monde sait que Tokyu Hands est l’endroit où il faut aller quand on n’a pas réussi à trouver ailleurs ce que l’on cherchait”, assure Mizoguchi Hiroshi, le numéro deux du magasin de Shibuya.
Mais le plus agréable, c’est de se laisser entraîner dans le dédale des escaliers qui mènent aux différents niveaux du magasin. Il est peu probable que vous ne succombiez pas devant l’un des objets présentés. C’est là qu’on se rend compte que l’imagination des hommes est sans limite et que notre capacité à nous laisser séduire est également sans borne. Les touristes qui ont déjà entendu parler de Tokyu Hands en savent quelque chose. Il suffit de les observer, ne serait-ce qu’à l’étage de la papeterie avec ses milliers de modèles de stylos et de bloc-notes, pour voir la magie opérer. Il ne vous reste plus qu’à vous laisser séduire à votre tour.
Odaira Namihei