Grâce à son immense talent et sa connaissance précise des mœurs d’Edo, la mangaka est devenue une référence.
Née à Tôkyô dans une famille traditionnelle de créateurs de kimonos, Sugiura Hinako se passionna très jeune pour le dessin, le design et pour le Japon de l’époque d’Edo. Mangaka de renom, elle obtint plusieurs prix au cours de sa carrière, mais c’est aussi en tant que spécialiste de l’histoire et de la société japonaise de l’époque d’Edo, qu’elle fut connue du grand public pour ses prestations dans des émissions télévisées concernant ce domaine. Elle publia également de nombreux livres sur le Japon d’Edo. Ravissante, cultivée, elle jouissait d’une grande popularité.
Aujourd’hui, son frère Suzuki Masaya et son épouse Hiroko entretiennent pieusement sa mémoire. Ils parlent chaleureusement de leur parente et c’est avec émotion et fierté qu’ils m’ont montré les dessins originaux ainsi que la riche bibliothèque qu’elle a laissés.
Son manga Sarusuberi parut, sous forme de feuilleton dans le magazine, hebdomadaire à l’époque, Manga Sunday, entre 1983 et 1988. Il comporte 30 chapitres et décrit la vie à l’époque d’Edo. Les mangas qui y avaient été publiés jusque-là s’adressaient surtout à un public masculin. Sugiura Hinako choisit de présenter un manga résolument nouveau. S’adressant aussi bien aux lecteurs masculins que féminins, l’auteur prit pour protagoniste une jeune femme d’exception, O-Ei, la fille de Hokusai. Difficile d’être la fille d’un père aussi célèbre et talentueux. Mais Sugiura Hinako sait nous la rendre attachante par ses imperfections. Loin de la jeune fille modèle que l’on cherche à marier pour assurer la descendance, O-Ei vit, comme son père, pour son art. Tant pis pour le ménage, cela ne l’intéresse pas. Elle est comme elle est et ne cherche pas à plaire. Elle s’exprime comme un homme et ne craint pas de bousculer et de taquiner les disciples de son père ou les autres peintres. C’est aussi une jeune femme pleine de vie qui se pose, comme toutes les jeunes filles, des questions sur l’amour. Si la vraie O-Ei se maria puis divorça rapidement, le manga et le film s’arrêtent avant cette partie de sa vie.
Sugiura Hinako a emprunté le titre Sarusuberi à un haikai de la poétesse Kaga no Chiyojo (1703-1775). Dans son poème, cette dernière chantait la beauté des sarusuberi, lilas des Indes .
Chireba saki, chireba saki, sarusuberi
Tombent puis refleurissent, tombent puis refleurissent les fleurs de lilas des Indes
Suzuki Masaya raconte que sa sœur appréciait ces arbustes et le tapis de fleurs que formaient leurs pétales qui jonchaient le sol.
En japonais, les trois idéogrammes utilisés pour le nom de cet arbuste sarusuberi, se traduisent littéralement par : “Cent jours de floraison”. C’est le sens du titre du manga de Sugiura Hinako. Elle décrit cent jours de la vie d’Edo, l’animation des quartiers, les relations humaines, etc. Le surnaturel avec ses revenants, yôkai et autres entités est également très présent. O-Ei vit avec son père au cœur même du monde de la peinture et de l’estampe japonaise. On croise des grands noms de l’estampe comme Kitagawa Utamaro, Keisai Eisen, Katsukawa Shunsho, Utagawa Kuninao. Les moindres détails de la vie quotidienne des gens de cette époque sont rendus avec naturel et nous font remonter le temps et retrouver l’atmosphère que les peintres de l’ukiyo-e, en particulier Hokusai, ont si bien rendue dans leurs estampes.
Suzuki Masaya, qui fut très proche de sa sœur, et son épouse Hiroko ont été émus lorsqu’ils ont reçu une lettre de Hara Keiichi, passionné des mangas de Sugiura Hinako, leur exprimant son désir de faire de Sarusuberi un dessin animé. “Le film d’animation qu’il a réalisé est magnifique et je suis certain que ma sœur, de là où elle se trouve, doit en être profondément heureuse”, assure-t-il.
Il est rare qu’un manga trouve encore les faveurs du public trois décennies après sa publication. Cela prouve la qualité et l’originalité du travail de Sugiura Hinako. Son manga Sarusuberi prend une nouvelle ampleur avec l’œuvre réalisée par Hara Keiichi. Grâce à ce manga et à ce film d’animation, les passionnés du Japon traditionnel et contemporain pourront se replonger avec délice dans cette époque révolue.
Brigitte Koyama-Richard