Qu’est-ce qui a pu inspirer une résistance si tenace ? En vérité, Tomo dispose bien plus que sa vue enchanteresse. C’est d’abord le seul port japonais en état de l’ère Edo (1603-1867), avec environ 80 bâtiments datant de cette époque. Mais son importance historique va beaucoup plus loin. Les courants venus de l’est et de l’ouest se rencontrent ici. Dans les temps anciens, les navires attendaient ici que la marée tourne, ce qui a valu à la cité portuaire d’être surnommée machi shio no minato (le port où l’on attend les marées). D’autres navires venaient trouver refuge dans sa baie protégée, le temps que la tempête passe.
Pendant l’ère Edo, il a connu la prospérité grâce au commerce avec l’Asie continentale. On dit que ses magasins étaient tellement sollicités qu’ils restaient ouverts nuit et jour, tandis que les émissaires de Corée et des Pays-Bas louaient sa beauté. On dit aussi que le poète et érudit Rai Sanyô (1780-1832) a travaillé sur son importante Nihon Gaishi (Histoire du Japon) à Tomo-no-ura, et que Sakamoto Ryôma, le fameux dirigeant du mouvement favorable au renversement du shogunat des Tokugawa, se serait caché après le naufrage de son navire l’Irohamaru, en 1867. L’épave n’a été retrouvée que 100 ans plus tard. Elle est maintenant exposée au musée Irohamaru, situé à côté du phare Jôyatô.
Ce riche héritage historique imprègne le labyrinthe composé par ses rues étroites, ses vieux temples et ses ruelles fouettées par le vent, où chaque bâtiment est un trésor national. Vous pouvez le sentir dans le vieux bois des maisons de marchands. A l’instar de la résidence Ota, une ancienne brasserie de hômeishu (un vin de riz à base de seize plantes, la spécialité locale). Elle est non seulement célèbre parce que ses premiers propriétaires avaient obtenu les droits exclusifs de le produire, mais aussi parce que Sanetomi Sanjô et six nobles de la cour en route pour Chôshû (aujourd’hui Yamaguchi) y ont été arrêtés lors du soulèvement militaire pro-empereur le 30 septembre 1863.
Il y a aussi la légende du pont des soupirs, l’histoire locale de Roméo et Juliette. Pendant le règne du légendaire empereur Ôjin Tennô (270-310), deux amants se donnaient rendez-vous en secret tous les soirs au pied du pont. L’homme s’appelait Watari Takenouchi no-omi. Il était chargé de recevoir les envoyés de Corée. La femme était une hôtesse du nom d’Enoura. La rumeur se répandit dans toute la ville et les deux amants disparurent mystérieusement en mer. Aujourd’hui, le pont ressemble à une modeste bosse, au milieu de la route. Mais qui peut résister à un tel récit romantique rempli de mystères ?
Néanmoins, Tomo n’est pas une simple ville musée. Son port fonctionne toujours. Il suffit de lever le nez pour apercevoir des claies sur lesquelles sèchent au soleil du poisson et du poulpe. Ses rues tranquilles abritent encore quelques vieilles boutiques où l’on trouve des kimonos, des rames ou des lanternes. Quelques artisans brassent encore du hômeishu qui, dit-on, combat la fatigue et favorise la longévité. De nouveaux souvenirs ont succédé aux plus anciens. Les visiteurs peuvent désormais suivre la “route Wolverine” grâce à laquelle ils découvriront l’incontournable boutique de Ken-chan où l’acteur Hugh Jackman s’est arrêté pour goûter des sardines séchées, ou encore le tunnel qui apparaît dans Ponyo sur la falaise. Un endroit que Fukushima Rila, autre actrice vedette de Wolverine, a rendu célèbre en faisant un selfie qu’elle a diffusé sur Twitter. Tomo a aussi un lien avec le groupe AKB48 depuis que l’une de ses membres, Iwasa Misaki, a remporté un vif succès en 2014 avec le titre Tomo-no-ura Bojô. Dans le clip vidéo, on retrouve tous les lieux qui ont fait la gloire de Tomo, y compris la fameuse vue depuis Taichoro. C’est un privilège d’être encore en mesure de contempler cette scène intemporelle qui n’a pas été défigurée par un vilain pont. Après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on peut admirer “la plus belle vue du Japon”.
Steve John Powell & Angeles Marin Cabello
Pour s’y rendre
PAR AVION : Les vols entre Tôkyô et Hiroshima (1h15) sont nombreux. A l’aéroport, empruntez la Limousine Bus jusqu’à la gare de Fukuyama (1h), puis un bus Tomotetsu jusqu’à Tomo-no-ura (30 mn). PAR TRAIN : Le shinkansen jusqu’à Fukuyama (3h40), puis un bus Tomotetsu jusqu’à Tomo-no-ura (30 mn).