Sa carrière démarre réellement en 1937 quand il devient un des membres fondateurs du Chûgoku shashin shûdan, groupe de photographes amateurs de sa génération. Loin de l’agitation artistique de la capitale, Ueda puise son inspiration à la fois dans les cultures européennes, qu’il découvre à travers des magazines, et japonaise. Il développe rapidement son propre style, détaché des grands mouvements de l’histoire de la photographie d’après-guerre, notamment le photojournalisme et le surréalisme. Ueda-chô, appellation donnée à son style si particulier, s’esquisse avec la photographie Shôjo shitai (“Les quatre filles”) réalisée en 1939. Dans cette image, le photographe demande simplement à quatre fillettes rencontrées sur la plage de poser les unes à côté des autres. Cette mise en scène impromptue restera parmi ses plus célèbres images et marque le début d’un travail dans les dunes de Tottori, thème qui lui restera cher toute sa vie. Parfois appelées “les dunes d’Ueda” tant il y a laissé une empreinte mémorable, ces montagnes de sable sont situées à une centaine de kilomètres de Sakaiminato. Il y emmène souvent son épouse, Shiraishi Norie, et ses enfants qu’il invite à poser dans un décor minimaliste. 70 ans plus tard, sa fille Kako, qui vit aujourd’hui à Tôkyô, se souvient encore de ces moments avec émotion. Elle raconte que, malgré l’esprit bon enfant des séances du dimanche, son père leur accordait une liberté limitée. Chacun avait un rôle bien précis à jouer et c’était bien Ueda le chef d’orchestre.
En 1949, la publication dans un magazine de la série Watashi no kazoku (“Ma famille”), résultat de ces mises en scène en famille, fait sensation. Dans ces saynètes, l’artiste n’hésite pas à introduire des accessoires originaux tels qu’un chapeau ou un parapluie, devenant ainsi des symboles de son style ludique et décalé. La même année, il participe à une séance commémorative dans les dunes avec ses confrères Domon Ken et Midorikawa Yôichi. A peine un an plus tard, en 1951, Ueda organise sa première séance de nu dans les dunes. Dans les années 1980, après le décès de son épouse qui l’affecte profondément, il retourne sur les lieux de ses photographies les plus célébres à la demande de son fils Mitsuru. S’il y retrouve la magie du lieu, il invente une nouvelle façon de structurer l’espace, avec un champ de vision plus large. Aujourd’hui, ces mêmes dunes sont une véritable attraction touristique : armés de leur parapluie par temps de pluie et de vent, les visiteurs deviennent malgré eux des personnages d’Ueda.
Si tout au long de sa vie, le photographe a considéré les dunes comme son studio, il en est de même pour toute sa région. Il disait souvent que le ciel et la mer, éléments incontournables du paysage côtier de Tottori, étaient une toile de fond idéale. Il en admire les variations de teintes au fil des saisons, créant ainsi une délicate palette de gris pour ses photographies en noir et blanc, qui forment une grande partie de son œuvre. Sa curiosité et son audace le poussent à explorer les environs sans jamais se lasser, passant un temps considérable sur les mêmes lieux. Souvent, il observait les enfants sur le chemin de l’école, dont les rires résonnaient dans les rues de son attachante bourgade de province. D’une timidité maladive, Ueda Shôji était plus à l’aise avec les enfants, à qui il consacre la série Dôreki (“Le calendrier des enfants”) de 1955 à 1970, célébration onirique du passage des saisons au rythme des festivités populaires locales. De 1974 à 1985, en plusieurs petites histoires, il se replonge dans ses archives à l’initiative d’une proposition éditoriale originale du magazine Kamera Mainichi. Le photographe est invité à adopter une démarche rétrospective en développant de vieux négatifs oubliés, tout en mêlant ces images à des clichés plus récents. Cette série, Chiisai Denki (“Une Petite Biographie”), est une déambulation dans les paysages de son enfance. Sans chronologie aucune mais se prolongeant sur plusieurs années, elle souligne le lien fort entre la photographie et le temps qui passe.