La première chose que l’on remarque quand on quitte le ferry est le calme ambiant, comme si le temps lui-même avait été suspendu. C’est une réalité que même les groupes omniprésents de touristes et d’écoliers menés par des guides équipés de mégaphone ne peuvent pas complètement casser. Une grande partie de l’île est couverte d’une forêt vierge, laquelle s’étale jusqu’à la limite de la petite ville. Comme c’est une île sacrée, il n’y a pas de salles de pachinko ou de supérettes, aucune construction incontrôlée, pratiquement rien pour vous rappeler que vous vous trouvez dans le Japon du XXIe siècle. C’est un royaume de pagodes, de temples et de sanctuaires dont l’air doux est parfumé de bois de camphre et d’encens.
Son symbole le plus reconnaissable est le torii de 16,6 mètres de haut qui se dresse au milieu de l’eau, à environ 200 mètres du sanctuaire d’Itsukushima. Le torii a été construit sur la mer parce que toute l’île est considérée comme sacrée. On ne permettait pas aux païens d’y pénétrer. Ils devaient donc s’approcher du sanctuaire par la mer, passer sous le torii qui sépare symboliquement le monde ordinaire de l’île sacrée.
Le sanctuaire d’Itsukushima est le cœur spirituel de Miyajima. Et, tout comme les guides le promettent, ce somptueux sanctuaire orange vif semble vraiment flotter à marée haute. On ne pouvait pas trouver meilleur endroit pour une représentation de bugaku. Le sanctuaire d’Itsukushima date de 593, mais c’est le grand seigneur de la guerre Taira no Kiyomori qui l’a fait reconstruire dans sa forme unique actuelle autour de 1168. À mesure que le sanctuaire a pris de l’importance, l’empereur s’y est rendu à plusieurs reprises et Kiyomori a incorporé heureusement un peu de la culture de la cour de Heian – y compris le bugaku – dans la vie d’Itsukushima. La tradition se poursuit encore aujourd’hui avec des représentations de bugaku qui se déroulent sur une scène en plein air qui se jette dans la mer, comme à l’époque de Kiyomori.
La représentation commence par un groupe de musiciens shintoïstes portant des tuniques blanches, des pantalons turquoise et des chapeaux noirs qui prennent position, sur le côté de la scène. Ils jouent de la musique gagaku (la plus ancienne musique classique japonaise) avec des hichiriki (une sorte de hautbois), des flûtes, des shôko (petits gongs de bronze) et une variété de percussions. C’est dans cette ambiance musicale un peu hors du temps qu’apparaît le premier danseur vêtu d’un éblouissant costume de soie orange brodé et portant un masque animal. Ses mouvements de danse rappellent ceux d’une mante. Une vingtaine de pièces de danse ont survécu de l’époque de Kiyomori et sont toujours exécutées à des dates fixes tout au long de l’année. Il s’agit notamment des Danses de la gauche (sahô no mai) venues de Chine pour lesquelles les danseurs portent des robes rouges et orange, et les Danses de droite (uhô no mai) originaires de Corée pour lesquelles les danseurs s’habillent plutôt en vert. Certaines danses racontent des batailles anciennes ou des rencontres mythologiques, d’autres appellent à la paix dans les mers autour du Japon, ou à une récolte abondante. La plupart d’entre elles, cependant, semblent complètement abstraites. A l’époque de Heian, elles ont été adaptées selon des considérations esthétiques, et exécutées principalement pour divertir, au détriment de leur sens original.