Egusa Noritaka, l’actuel rédacteur en chef du Chûgoku Shimbun, en est la parfaite illustration. Comme tous les autres salariés du quotidien, il comprend parfaitement la responsabilité qui lui incombe. “L’une des actions les plus importantes que le journal a pu faire après les événements du 6 août est d’avoir informé les gens sur les faits de la vie quotidienne”, raconte-t-il, ce qui leur a permis de reprendre progressivement une existence presque normale. Cela demeure un élément fondamental dans la couverture de l’actualité assurée par les journalistes. C’est sans doute ce qui lui permet de revendiquer encore aujourd’hui une diffusion quotidienne de quelque 613 000 exemplaires. Un chiffre qui ferait pâlir bon nombre de propriétaires de journaux en Europe où même les grands quotidiens nationaux ont du mal à atteindre même la moitié de ce tirage. “Nous sommes un petit journal de province”, confie Egusa Noritaka avec sérieux. Pourtant, il est à la tête d’une rédaction de 200 personnes. Même si le Chûgoku Shimbun n’a pas les moyens d’entretenir des correspondants à l’étranger, il envoie régulièrement en reportage ses journalistes pour couvrir certaines conférences importantes sur le nucléaire – un de ses dossiers prioritaires – ou pour suivre les activités des entreprises locales implantées dans d’autres pays, à l’instar de Mazda présente au Mexique. “Nous envisageons de créer un poste de correspondant tournant en Asie”, explique le rédacteur en chef. “De nombreuses PME locales s’intéressent au marché asiatique et manifestent le désir d’être mieux informées sur cette partie du monde. Nous souhaitons répondre à cette demande d’autant que l’actualité asiatique ne manque pas d’influencer notre économie”, poursuit-il.
Le journal recrute chaque année de nouveaux journalistes – en 2016, ils ont été dix à le rejoindre. N’importe qui peut y devenir reporter. “A la différence des grands quotidiens nationaux qui peuvent choisir des spécialistes, nous mettons l’accent sur la personnalité des candidats pour trouver celle ou celui qui sera en mesure de travailler avec les valeurs que nous défendons”, affirme Egusa Noritaka. Ce n’est pas facile, car le nombre de candidats est en chute libre depuis plusieurs années et il existe évidemment une concurrence acharnée avec les autres journaux qui veulent aussi embaucher les meilleurs. “Ensuite, la carrière au sein du journal dépendra à la fois de leur personnalité et de leur adaptabilité. Nous avons coutume d’amener les journalistes à faire des expériences différentes. Ils pourront ainsi commencer par les faits divers en étant détachés auprès de la police puis passer aux affaires générales ou à la rubrique économique. C’est leur souplesse à s’adapter à ces différentes situations qui leur permet de progresser dans la hiérarchie. Ainsi lors des entretiens d’embauche, nous demandons au candidat ce qu’il aurait envie de couvrir. Bien souvent on nous parle de suivre l’équipe de base-ball, mais systématiquement nous faisons en sorte de ne pas répondre à ce désir, car cela serait un peu trop facile. Nous mettons l’accent sur l’effort pour que le candidat se donne à fond pour atteindre son objectif”, raconte le rédacteur en chef. Une autre façon de forger le “courage” parmi le personnel.
Il en faut d’autant plus aujourd’hui que le secteur de la presse connaît des difficultés. Depuis plusieurs années, la diffusion est en baisse et les recettes publicitaires suivent la même tendance. Le Chûgoku Shimbun n’échappe pas à ce phénomène bien que sa diffusion dépasse les limites de la préfecture de Hiroshima. Il est aussi distribué dans les préfectures de Yamaguchi, de Shimane, d’Okayama voire de Tottori. “Comparé à d’autres quotidiens régionaux, cela nous a permis de limiter la casse. La baisse de la diffusion existe, mais elle est beaucoup plus lente”, reconnaît Egusa Noritaka. “Mais on le doit surtout à la notoriété des Carp, l’équipe de base-ball locale”, ajoute-t-il dans un grand éclat de rire. Si le titre décroché l’an dernier par le club permet de penser que le journal bénéficiera indirectement de l’engouement qu’il suscite, les responsables du Chûgoku Shimbun ont pris conscience de la nécessité de chercher des solutions pour tenter d’enrayer l’érosion des ventes. Et là encore, il a fallu faire preuve d’un certain “courage”. Le 30 avril 2015, le quotidien a décidé de suspendre définitivement son édition du soir qui existait depuis 91 ans, mais dont la diffusion ne dépassait plus les 30 000 exemplaires. Au Japon, la plupart des quotidiens ont deux éditions différentes, celle du matin la plus importante et celle de l’après-midi dont la pagination est nettement plus faible, mais dont le coût de fabrication reste élevé. En supprimant cette seconde édition, une économie substantielle a pu être réalisée. C’est le choix qu’avaient déjà fait le Sankei Shimbun il y a 15 ans ou encore le Minami Nippon Shimbun de Kagoshima, à Kyûshû, en 2009. Mais au Chûgoku Shimbun, il n’était pas question de choisir la solution de simplicité. Après tout, arrêter la publication n’est pas une décision facile, mais une fois qu’elle est prise, on ne se pose plus de question.