70 ans plus tard, Bunny Drop (Usagi drop, 2011) de Sabu adopte une approche plus légère à l’égard des parents célibataires tout en montrant une approche masculine complètement différente pour élever un enfant. Bien sûr, l’idée d’un salarié célibataire de 27 ans sans expérience parentale qui décide de prendre en charge la fille illégitime de 6 ans de son grand-père est plutôt difficile à croire (après tout, le film est basé sur un manga et une série animée très populaire) et le réalisateur Sabu n’explore pas très profondément les difficultés d’être un parent isolé. Cependant, il est intéressant de constater combien l’attitude discrète du jeune homme envers l’enfant est différente de la sévérité du père décrit par Ozu. Il va jusqu’à mettre de côté sa carrière prometteuse pour le bien de la petite fille, chose extrêmement rare dans le Japon réel urbain très compétitif.
Parlant de la concurrence, même sans aller jusqu’au Japon d’Ozu, il est intéressant de voir comment les valeurs familiales ont évolué entre la fin des années 1960 et le début des années 1980, lorsque le Japon a finalement émergé comme une superpuissance économique. Si la famille représentée par Yamada Yôji dans Otoko ha tsurai yo [C’est dur d’être un homme, 1969] et Kazoku [Famille, 1970] est une unité multigénérationnelle très liée assez forte pour résister aux grands et petits traumatismes, y compris, dans le film de 1970, la mort d’un enfant et du grand-père pendant le long parcours qui les mène vers un nouveau futur. Treize ans plus tard, Kazoku Gêmu [Jeu familial, 1983] de Morita Yoshimitsu se concentre sur une famille divisée de la classe moyenne qui a remplacé ces valeurs traditionnelles par de nouvelles aspirations sociales et économiques uniquement atteignables grâce à la réussite scolaire. Chaque membre a un rôle déterminé, à commencer par le père salarié qui est souvent absent car faisant constamment des heures supplémentaires. Le résultat est un manque total de communication, symbolisé visuellement par la longue table rectangulaire où la famille mange chaque repas, tous face à la caméra. Le sentiment d’union et d’intimité a totalement disparu.
Ce modèle très social a commencé à faiblir dans les années 1990 après l’éclatement de la bulle économique. Tokyo Sonata de Kurosawa Kiyoshi (2008) constitue l’horrible chronique de la descente aux enfers d’une autre famille de la classe moyenne. Tout commence quand le père, quadra dans une entreprise, est soudainement licencié en raison d’une réduction des effectifs, ce qui reste aujourd’hui un scénario cauchemardesque pour de nombreux cadres supérieurs. Honteux d’avoir perdu son emploi, il essaie de cacher la situation en cherchant un autre travail, mais le stress croissant finit par avoir des répercussions négatives sur toute la famille, en particulier sur le fils aîné sans emploi, qui décide de rejoindre l’armée américaine et sur le cadet qui veut faire du piano malgré l’opposition de son père. C’est une histoire tout à fait noire (un autre chômeur, ancien camarade de classe du père, finit par se suicider avec sa femme) qui souligne à quel point cette situation, bien qu’elle ne soit pas propre au Japon, est particulièrement mal vécue par les Japonais, dans la mesure où ils se définissent à travers leur travail et leur statut sur l’échelle sociale.