Parmi les nombreuses sorties littéraires de la rentrée, Six Quatre de Yokoyama Hideo est une perle à découvrir.
Depuis sa création, il y a maintenant près de 8 ans, Zoom Japon a toujours manifesté un intérêt particulier pour la littérature policière au Japon, estimant qu’elle est souvent un excellent moyen de saisir les mutations de la société nippone. Aussi sommes-nous toujours ravis de découvrir de nouvelles parutions dans ce domaine. Parmi les éditeurs les plus actifs, Actes Sud se distingue comme en témoigne la sortie de Montagne claire, montagne obscure (Mâkusu no yama) de Takamura Kaoru dans une excellente traduction de Sophie Refle. Mais aujourd’hui, nous nous intéressons à Six Quatre (Rokuyon) de Yokoyama Hideo que les éditions Liana Levi ont fait paraître fin septembre.
Ce roman de 650 pages sorti au Japon en 2012 y a eu un énorme succès puisqu’il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires la semaine de sa parution avant d’engranger de nouvelles ventes après son adaptation à la télévision en 2015, puis au cinéma l’année suivante. Dans les deux cas, les scénaristes n’ont pas eu de mal à trouver les éléments pour créer des histoires prenantes et palpitantes tant le roman original est riche. Il n’est donc pas étonnant que David Peace, le romancier à qui l’on doit Tokyo année zéro ou encore Tokyo ville occupée, tous deux parus chez Rivages, affirme que Six Quatre est “l’un des meilleurs romans policiers que j’aie lus.” On le comprend aisément dans la mesure où le style de Yokoyama Hideo et sa façon de dérouler son récit rappelle celle du Britannique.
L’auteur entraîne le lecteur dans une enquête commencée en janvier 1989, an 64 du règne de l’empereur Showa qui mourra quelques semaines plus tard, mais qui n’a jamais pu être élucidée par l’équipe dont l’inspecteur Mikami faisait partie. Marqué par cet échec, il a quitté le terrain pour s’occuper du service de presse de la police locale. Mais il replonge dans l’affaire de cette petite fille enlevée et assassinée quand on lui demande d’organiser le déplacement du patron de la Police nationale. Il découvre alors des anomalies et soulève des questions embarrassantes dans un contexte de tensions importantes entre les médias et la police. C’est là que réside une grande partie de l’intérêt de ce roman très prenant. En effet, Yokoyama Hideo entraîne le lecteur dans les coulisses du fonctionnement de la police et nous en dresse un portrait pas toujours très reluisant. Son expérience de journaliste d’investigation a évidemment nourri le contenu de ce roman qui frôle parfois le document tant les détails fournis sont précis. Il montre à quel point les pesanteurs administratives conduisent à l’échec comme finit par le ressentir Mikami. “Il avait mis le doigt dans un engrenage. Désormais, il était bel et bien un chien de garde des administratifs”, résume l’auteur. Mais au-delà de ça, Six Quatre est un formidable outil pour disséquer la société japonaise et en comprendre mieux le fonctionnement sans que cela donne l’impression d’être un cours magistral. Il faut également saluer le travail du traducteur, Jacques Lalloz, qui, une nouvelle fois, s’est attaqué avec brio à un roman ambitieux et abouti.
Gabriel Bernard
références
Six quatre (Rokuyon),
de Yokoyama Hideo, trad. par Jacques Lalloz, éd. Liana Levi, coll. Policiers, 23 €.