Avec à sa tête l’énergique Alexandre Regreny, l’éditeur n’hésite pas à bousculer les conventions.
L’édition ? C’est le métier de la frustration !” Et, niveau frustration, Alexandre Regreny en connaît un rayon. Il est, dans notre pays, le principal éditeur du prolifique Nagai Gô (Devilman, UFO Robot Grendizer/Goldorak) et doit batailler ferme avec ses représentants pour proposer des éditions de qualité de ses ouvrages. “Publier Goldorak, à la base, c’était un rêve de gosse. Puis c’est devenu une de nos locomotives qui attire de nouveaux lecteurs chaque mois et nous aide à faire connaître notre catalogue”, assure-t-il. Et si Devilman, un classique du fantastique des années 1970 d’une incroyable noirceur, a eu le droit à une somptueuse nouvelle édition cette année, ce n’est pas grâce à Dynamic Production, la société du maître. Alexandre est à ce sujet d’une désarmante (et rafraîchissante !) franchise. “Quand nos lecteurs critiquent nos couvertures de Goldorak, je les comprends. Si elles sont moches, ce n’est pas que notre graphiste est nulle mais que les Japonais nous les imposent. Pour Devilman, j’ai tapé du poing sur la table ! On avait déniché par nous-mêmes des illustrations en couleurs magnifiques. C’était un gros boulot de maquette, mais il n’était pas question de faire une nouvelle couverture minimaliste en rouge et noir. Je n’ai pas lâché le morceau et ils ont fini par entendre raison. Des combats comme ça, tu en gagnes un et tu en perds dix. C’est parfois décourageant !”, confie-t-il.
Jetons un voile pudique sur les relations orageuses avec Terasawa Buichi à l’occasion du renouvellement des droits de sa mythique série Cobra. “On m‘avait prévenu que c’était difficile de bosser avec lui mais, Cobra, je ne pouvais pas passer à côté. On a mixé quatre éditions internationales différentes pour pouvoir en proposer une à nos lecteurs qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde avec les pages couleurs d’origine.”
Black Box se fait un nom et une - petite - trésorerie grâce à ses éditions qualitatives de classiques populaires comme Cobra ou le représentant du non-sens Kimengumi/Le collège fou fou fou (un grand soin est apporté à la fabrication des livres, du format au papier utilisé). La maison se lance alors dans la traduction de titres moins grand public et économiquement risqués, en court-circuitant l’habituel parcours du combattant d’achat de droits. “Le marché du manga en France est un vrai sac de nœuds et acheter un titre précis qui nous plaît est très difficile de nos jours. Les gros groupes français ne nous laissent pas beaucoup de place et les agents des éditeurs japonais font le forcing pour te vendre des “packages” de plusieurs séries pour augmenter leur commission. Mais pas question d’acheter cinq titres pourris pour avoir celui que je veux. Ce n’est financièrement pas viable pour nous et ça ne cadre pas avec ce que je veux offrir à mes lecteurs !”, martèle l’éditeur.
A l’image de nombreux titres qu’il édite, Alexandre Regreny privilégie l’humain et la négociation des droits se fait donc en direct avec l’auteur au gré des rencontres et d’un carnet d’adresses qui s’étoffe au fil du temps. “Ishikawa Saburô (Une sacrée mamie, Plus haut que le ciel) n’avait même pas été informé que je cherchais à l’éditer avant que Akamatsu Ken (Love Hina) ne lui en parle. Puis c’est grâce à Ishikawa que j’ai pu éditer Rokuda Noboru (Baron) qui m’a, à son tour, mis en relation avec Okazaki Tsuguo (Cosmo Police Justy). Ces mecs ont un catalogue de titres épatants et originaux qui ne sont même plus disponibles au Japon. Rokuda, c’est une vraie claque, il a été l’assistant en chef d’Urasawa Naoki sur 20th Century Boys (éd. Panini) et a touché à tous les genres. J’espère que la réception de ses bouquins, qui vont du western à de la SF à la X-Files, sera à la hauteur de son talent. Okazaki est un dessinateur extraordinaire, un monsieur charmant qui a travaillé sur Macross et qui mouille la chemise pour offrir des illustrations inédites à ses lecteurs français”, ajoute-t-il.
Cette détermination sans faille permet ainsi à Black Box de sortir des sentiers (re)battus du shônen commercial qui inonde le marché, avec des auteurs emblématiques de son écurie comme Yoshi Masako (Comment ne pas t’aimer, Du haut de mon monde). “C’est un auteur qui illustre très bien ce qu’on veut faire avec notre catalogue. Elle est prof à Tôkyô, a été assistante d’Adachi Mitsuru (Touch) et décrit avec beaucoup de sensibilité et de réalisme les relations humaines. Et en plus, elle nous donne le sourire ! Je ne gagne pas d’argent avec ses titres, mais je vais tout éditer. C’est ma fierté de constater que quand les gens commandent sur notre site une intégrale Devilman (qui nous permet de rester à flots), ils en profitent pour ajouter un de ses livres ou un Ishikawa à leur panier.” Pour ceux qui en douteraient encore, nous avons ici affaire à un vrai passionné qui décrit sa démarche comme “tout sauf commerciale” et ne s’avoue jamais vaincu. Pour traduire le pétillant Vas-y Julie, il est allé jusqu’à envoyer un émissaire dans la maison de retraite de deux des auteurs pour leur faire signer un contrat.