L’écrivain à qui l’on doit aussi Les Bébés de la consigne automatique (Koinlokkâ beibîzu, éd. Philippe Picquier) a certainement voulu montrer que le modèle petit bourgeois était en train d’éclater… L’expression de ce malaise est certainement l’augmentation des hikikomori qui se terrent chez eux, coupant tout contact avec l’extérieur… Un million de personnes (surtout des hommes) seraient concernées. Saitô Tamaki, psychiatre, spécialiste des hikikomori, tire la sonnette d’alarme dans Chûkônen hikikomori [Les hikikomori d’âge moyen ou avancé, 2020, inédit en français] en présentant une nouvelle catégorie, celle des 40-64 ans, dont le nombre (610 000) dépasserait celle des 15-39 ans (540 000). Et Saitô d’évoquer le 8050 mondai, problème qui adresse l’inversement des rôles, les plus de 80 ans ayant encore à charge des enfants de plus de 50 ans. Que deviendront-ils quand leur maman ne sera plus là pour leur apporter un plateau repas à leur porte ?
L’œuvre du cinéaste Kore-eda Hirokazu est aussi hantée par ces troubles familiaux. Son chef-d’œuvre est à mon avis Nobody knows (Daremo shiranai, 2004). Le fait divers dont il s’est inspiré est pire encore que le film qui montre quatre enfants (de pères différents), livrés à eux-mêmes, abandonnés par une mère complètement irresponsable partie refaire sa vie ailleurs. Ce film, comme Une Affaire de famille (Manbiki kazoku, 2018), Palme d’or au Festival de Cannes, nous amène à nous poser deux questions graves : comment est-ce possible que les services sociaux ne soient pas intervenus ? Mais surtout comment est-ce possible que les voisins ne se soient aperçus de rien, ou plutôt qu’ils aient feint de ne rien voir ? Si “ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire” correspond au respect de la vie privée, on bascule dans la non-intervention à personne en danger. Comment se fait-il qu’ils n’aient même pas alerté les services sociaux ou l’aide à l’enfance? Le génie de Kore-eda est de dénoncer en douceur la disparition des solidarités les plus élémentaires (car ici il s’agit de survie), tout en exprimant, on ne peut plus clairement, que la famille n’est pas toujours ce qu’elle devrait être et qu’il est parfois sain de recomposer soi-même une famille, en se libérant des liens dits de sang qui peuvent s’avérer toxiques… Dans, Kazoku to iu yamai [Ce mal qu’on appelle famille, inédit en français), sorti en 2015, qui s’est vendu à plus de 600 000 exemplaires, Shimojû Akiko fait un portrait édifiant de la famille, rappelant que les homicides correspondent la plupart du temps à des règlements de compte “intra muros”. Dans un autre ouvrage, elle poursuit la réflexion en faisant l’apologie de la solitude et même de la mort solitaire (kodokushi).
Le livre de Tamura Hiroshi, Hômuresu chûgakusei [Collégien SDF, inédit en français], qui s’est vendu à plus de deux millions d’exemplaires, évoque trois mois de vie d’un adolescent de 14-15 ans, dans un parc, après la saisie de leur appartement. Bien que l’auteur relate son passé de SDF sans amertume, mais comme un accident de parcours, on ne peut qu’être indigné par la lenteur de l’intervention des services sociaux dans la vie de trois enfants abandonnés par un père irresponsable. Intervention est d’ailleurs un bien grand mot quand on réalise qu’ils devaient se contenter d’un bol de riz pour dîner et que ces trois enfants avaient encore faim, après l’entrée en jeu de l’administration en charge…