Vous enseignez à l’université depuis les années 1980. L’étudiant japonais de cette époque et celui d’aujourd’hui se ressemblent-ils ?
M. J. : Je ne voudrais pas apparaître comme une nostalgique du passé, mais c’est vrai que mes étudiants étaient sinon meilleurs, du moins plus assidus autrefois. Je reconnais néanmoins à mes étudiants actuels d’être plus relax, ce qui peut être la résultante de l’enseignement moins intensif introduit par le ministère de l’Education nationale dans les années 1980, sous le terme de yutori kyôiku, très bien traduit en anglais par “pressure-free education”. L’idée était d’alléger les heures de cours pour soulager les enfants et développer leur créativité. Si leur donner le temps de s’ennuyer était certainement une bonne idée, la dérive possible était de renforcer la bipolarisation, les plus favorisés ayant le temps (et l’argent !) nécessaire pour fréquenter les meilleures juku (cours préparatoires aux examens d’entrée) qui augmenteraient leurs chances d’entrer dans une université prestigieuse et/ou dans une faculté prometteuse (économie, droit, médecine).
J’ai toujours adoré mes étudiants, leur jeunesse, leur spontanéité, et je dois reconnaître que mes séminaires étaient de plus en plus sympathiques. Ils se passaient en japonais, mais je donnais des documents à lire en français. Force me fut cependant de constater que les étudiants se répartissaient les paragraphes (et même les lignes !) des quelques pages que j’avais distribuées, sans lire ce qui ne les concernait pas directement… Il fallait faire avec, mais les discussions étaient de plus en plus animées, personnelles et intéressantes. Les projets communs se faisaient plus facilement avec les anciens. Le journal Tokyo Memories (éd. Antipodes, 2007) que nous avons écrit ensemble sur dix ans (1995-2005) est le témoignage de leur investissement et de leur participation. Nous avons continué sur notre lancée avec Tokyo instantanés (éd. Elytis, 2012), mais il est devenu difficile de récupérer leurs devoirs…
La génération précédente avait aussi relevé un défi en interviewant des Français au Japon, ce qui avait donné trois recueils d’interviews publiés dont nous n’étions pas peu fiers, les étudiants n’étant alors qu’en deuxième année de français… D’autres universités les citaient même en exemple.
Je reconnais à la génération qui a suivi une plus grande spontanéité, ils participent plus à l’oral, font preuve de débrouillardise et disposent de compétences de plus en plus poussées en informatique. Avant l’arrivée des ordinateurs, apprendre à taper à la machine en japonais nécessitait un long et laborieux apprentissage, mais maintenant ils entrent dans une entreprise avec tout ce savoir-faire, et souvent avec un permis de conduire. J’aime aussi leur optimisme, en dépit du contexte socio-économique plutôt morose. Ils sont l’illustration exacte de ce que le jeune sociologue Furuichi Noritoshi a décrit, en 2011, dans son livre Zetsubô no kuni no kôfukuna wakamonotachi [La Jeunesse insouciante d’un pays au bord du désespoir, inédit en français].