Ewen Blain et Fabien Grolleau dressent
le portrait d’un homme qui a refusé d’abdiquer devant la mort.
Attention, ceci n’est pas un manga ! Attention, ceci ne concerne pas Kan Naoto, l’ancien Premier ministre qui était en fonction au moment du séisme du 11 mars 2011 ! Ce que vous tiendrez entre les mains, espérons-le, est une bande dessinée d’Ewen Blain (dessin) et de Fabien Grolleau (scénario) dont les codes graphiques n’ont rien à voir avec le manga. Et le Naoto dont il est question dans le titre est le prénom de M. Matsumura, personnage tout aussi réel que l’ex-chef du gouvernement japonais, mais qui, à la différence de ce dernier, vit dans sa chair les conséquences d’une autre catastrophe liée à la première : la fusion du cœur de trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima 1.
Le sous-titre de ce magnifique album, Le Gardien de Fukushima, évoque mieux le rôle de cet homme qui a décidé de rester seul dans la zone interdite. Sans autorisation, au risque d’une amende et d’un mois de prison. Sans compteur Geiger, sans masque de protection. Parce qu’au-delà du fait qu’il veut rester dans sa région natale, l’homme n’a pas voulu abandonner ses bêtes ni celles que ses collègues ont laissées derrière eux en quittant la région contaminée. “Laisser agoniser des centaines d’animaux est un crime”, affirme celui qui va devenir un des symboles de la lutte contre le nucléaire. A plusieurs reprises, il a rappelé qu’il faut “arrêter l’illusion mensongère que le nucléaire est une énergie propre et peu coûteuse”. “Cet homme est en colère”, annonce d’ailleurs le chapitre 4 de ce roman graphique.
Il a toutes les raisons de l’être. “Champion du monde des radiations”, comme lui dit le médecin qui l’a examiné, Matsumura Naoto ne baisse pas pour autant les bras. Car il est avant tout un défenseur de la vie. “Toutes les vies sont importantes”, affirme-t-il lors d’une conférence de presse. Il le prouve en s’opposant aux membres d’une équipe vétérinaire venus abattre les animaux encore debout. “Vous êtes tous fous ! Complètement fous ! Qui peut encore avoir des idées pareilles par ces temps d’apocalypse ? Il n’y a pas eu assez de mort ? Combien vous en faut-il encore ?”, leur lance-t-il. Dans cette belle histoire où les auteurs rapportent une réalité glaçante, il y a tout de même une place pour l’optimisme, certes mesuré, mais tout de même il est présent grâce à l’engagement de cet homme.
S’il n’avait pas été aussi attaché à sa région natale, probablement n’aurait-il pas choisi ce destin. C’est d’ailleurs l’un des points forts de cet ouvrage que d’accorder une large place au folklore japonais qui, rappelons-le, est intimement lié à la nature. Il y a de très belles pages lorsque Naoto se rend dans le sanctuaire shintoïste près de chez lui. Lorsqu’il sonne la cloche, tous les esprits de la forêt, des rivières et les fantômes viennent à sa rencontre dans l’espoir qu’il les aide. Mais il n’est qu’un homme. “Je… Je ne peux pas tous vous aider ! Je fais tout ce que je peux, mais c’est impossible”, dit-il. La dimension humaine de ce personnage est parfaitement rendue dans ce récit graphique que l’on dévore de la première à la dernière page, celle où l’on apprend qu’il ne se contente pas de protéger la vie, mais qu’il la donne aussi.
Gabriel Bernard
Références
NAOTO : LE GARDIEN DE FUKUSHIMA, d’Ewen Blain et Fabien Grolleau, Steinkis, 2021, 19 €.