Parmi les nombreux mangas où il est question de la nature, ceux consacrés à la pêche figurent en bonne place.
Dans le monde de la bande dessinée japonaise, les éditeurs, toujours très occupés, sont constamment à la recherche de sujets intéressants à transformer en best-sellers potentiels. Tous les sujets sont bons à prendre, et la nature ne fait pas exception à la règle. Au cœur des préoccupations des Japonais, elle est devenue une thématique importante pour les mangakas qui ont multiplié les œuvres s’intéressant à cette problématique. Dans un pays où on ne compte plus le nombre de personnes qui aiment taquiner le goujon (voir Zoom Japon n°142, juillet-août 2024), la pêche est depuis longtemps un sujet de prédilection pour les mangas. Les années 1970 sont considérées comme l’âge d’or des mangas de pêche, tandis que, plus récemment, de nombreuses nouvelles bandes dessinées ont fait leur apparition dans les rayons des librairies. La liste suivante n’est qu’une petite sélection d’anciennes et de nouvelles bandes dessinées sur la pêche, présentées par ordre chronologique.
Tsurikichi Sanpei (1973-1983, 2001-2010, 2018-2020)
Connu sous le nom de Paul le pêcheur en France, ce n’est pas seulement le parrain des bandes dessinées sur la pêche, mais aussi le plus accompli d’un point de vue artistique. L’auteur Yaguchi Takao (voir Zoom Japon n°137, février 2024) était un artiste qui a magnifiquement dépeint les décors naturels de ses histoires. La première publication de ce manga dans le magazine Shônen Jump connut un tel succès qu’elle déclencha un essor de la pêche dans tout le pays dans les années 1970 et 1980.
Le protagoniste, un garçon nommé Mihira Sanpei, est un génie de la pêche. Son grand-père était un maître fabricant de cannes à pêche. L’histoire tourne autour de son inépuisable soif de pêche. Ses premières aventures se déroulent dans la région du Tôhoku, c’est-à-dire le nord-est de l’archipel, où Sanpei vit (Yaguchi était lui-même originaire de la préfecture d’Akita et ses souvenirs d’enfance constituent la base de ses premières histoires), mais par la suite, il entraîne les lecteurs dans tout le Japon, des zones humides de Kushiro à Hokkaidô (voir Zoom Japon n°78, mars 2018), où Sanpei essaie d’attraper un poisson mythique, aux battures de la mer d’Ariake à Kyûshû, où il attrape des mudskippers sur un traîneau de boue. Sanpei se rend même au Canada et à Hawaï pour pêcher de gros poissons comme le saumon et le marlin.
Comme Sanpei met constamment à l’épreuve ses talents de pêcheur, il voyage dans tout le pays pour affronter des poissons étranges et légendaires. L’une des histoires les plus populaires l’oppose au takitarô, un poisson géant qui vivrait dans l’étang d’Otoriike, dans la préfecture de Yamagata, mais que personne n’a jamais réussi à attraper. Le takitarô est en fait classé parmi les animaux mystérieux non identifiés, ce qui signifie qu’il pourrait appartenir au domaine de la fantaisie. Tsurikichi Sanpei a la particularité de comporter un “Yaguchi Fishing Corner” dans lequel l’auteur lui-même commente le contenu de son œuvre et explique les détails techniques des aventures de pêche de Sanpei.
Tsuribaka nisshi (1979-aujourd’hui)
“Le Journal d’un dingue de pêche”, si l’on traduit littéralement son titre, est l’autre best-seller de longue date dans le domaine de la pêche et, contrairement à Tsurikichi Sanpei, il est toujours publié en série dans le magazine Big Comic Original. Fruit du travail de Yamazaki Jûzô (scénario) et Kitami Ken’ichi (dessins), ce manga a même transcendé le monde de la bande dessinée et le fandom de la pêche puisqu’il a été transformé en une série de films populaires qui a duré 22 épisodes entre 1988 et 2009 dont le scénario a été écrit par Yamada Yôji (voir Zoom Japon n°49, avril 2015).
Hamasaki Densuke, également connu sous le nom de Hama-chan, est un salarié ordinaire qui n’a aucune ambition professionnelle. Sa femme le pousse à se lancer dans un hobby pour impressionner son patron et progresser. Il se met donc à la pêche à contrecœur… et finit par en devenir dépendant. En conséquence, il s’éloigne de plus en plus de toute idée d’avancement dans la hiérarchie de son entreprise. “Après tout, dit-il, si je suis promu, j’aurai moins de temps pour pêcher.” Un jour, Hama-chan invite un vieil homme nommé Su-san, qu’il a rencontré par hasard, à aller pêcher. Or, Su-san n’est autre que le président de l’entreprise pour laquelle travaille Hama-chan.
Cette œuvre est un peu un poisson étrange dans cette sélection, car, bien que la pêche joue un rôle central, le véritable cœur de l’histoire est l’étrange amitié de Hama-chan avec Su-san et les problèmes que son fanatisme cause dans sa vie professionnelle. En effet, cette série est populaire en tant que manga décrivant le quotidien du travail autant qu’en tant que saga de pêche.
Mr. Tsuridoren (1996-2002)
Le manga de Toda Katsuyuki raconte l’histoire légère de lycéens qui sont accros à la pêche à l’achigan. Le personnage principal s’appelle Hiwa Kôichi, un lycéen de première année qui veut rejoindre le club de basket-ball de l’école, mais qui s’inscrit par erreur au club de pêche. Là, il se lie d’amitié avec Chôta, un pêcheur expert qui prend Kôichi sous son aile.
Ce manga est sorti alors que la mode de la pêche à l’achigan n’était pas encore retombée et il constitue un bon point d’entrée pour les débutants. Il comporte également de nombreuses parodies de célébrités populaires à l’époque, comme Sametaku (Sameura Takuya), qui s’inspire de Kimura Takuya, membre de l’ancien groupe d’idoles ultra-cool SMAP. Une référence plus obscure est Gyôrai Misa, une pêcheuse spécialisée dans les poissons à tête de serpent, qui est en fait un hommage à Kuroi Misa, le personnage principal du manga d’horreur classique Eko Eko Azarak des années 1970 de Koga Shin’ichi. D’ailleurs, le titre du manga, Mr. Tsuridoren, est un jeu de mots entre le terme tsuri (pêche) et le groupe pop-rock populaire M. Children.
Bien qu’il s’agisse d’une œuvre à forte teneur comique, Toda prend la pêche très au sérieux. Les informations sur la pêche au bar sont présentées de manière professionnelle, clairement illustrées et faciles à comprendre, même pour les débutants.
Okazu ga nakereba, sakana o tsureba ii janai (2016)
Inédit en français, “Si vous n’avez pas de plat d’accompagnement, il suffit d’attraper un poisson” est la devise de ce manga autobiographique réalisé par Morikoshi Hamu. Dessinatrice et illustratrice de mangas, Morikoshi et son mari salarié sont de parfaits débutants et l’histoire raconte leurs luttes et leurs erreurs pour devenir de bons pêcheurs. Il leur faut six mois pour attraper quelques poissons, mais ils finissent par découvrir la pêche au sabiki, une méthode relativement facile qui permet d’attraper des poissons bleus tels que les sardines et les maquereaux à l’aide de plusieurs hameçons et d’un petit panier en plastique rempli d’appâts. Ces petits poissons sont souvent capturés à partir de la digue, ce qui rend la pêche au sabiki très populaire auprès des familles et des débutants.
Le style de Morikoshi a une touche kawaii qui rend ses histoires faciles à comprendre. De plus, comme le suggère le titre, ce manga va au-delà de la pêche et présente des instructions détaillées sur la façon de cuisiner des plats maison simples, comme des sashimis trempés dans des sauces aromatisées aux prunes ou au sésame.
Dans d’autres épisodes, la mangaka explique comment faire face aux poissons venimeux tels que les raies, parle des merveilles du poisson-lime, un poisson agréable au toucher, et de la situation des toilettes pour les femmes sur les lieux de pêche.
Hôkago teibô nisshi (2017-aujourd’hui)
Le manga de Kosaka Yasuyuki, dont le titre signifie Journal du brise-lames après l’école, raconte l’histoire de Tsurugi Hina, une jeune fille qui déménage de Tôkyô à la ville natale de son père dans la préfecture de Kumamoto (voir Zoom Japon n°88, mars 2019) juste avant d’entrer au lycée. Un jour, alors qu’elle se promène le long de la mer, elle rencontre une autre lycéenne,
Kuroiwa Yuki, qui pêche sur le brise-lames. Après lui avoir emprunté son matériel de pêche, Hina, qui est à sa première expérience, réussit à attraper un poulpe qui atterrit sur ses jambes. Cependant, Hina souffre d’ichtyophobie (peur de toucher du poisson cru). Yuki lui retire la pieuvre, mais pas avant de lui avoir fait promettre qu’elle rejoindrait le Club du brise-lames.
Celui-ci est composé de quatre membres, et le manga décrit non seulement leurs activités de pêche, mais aussi la façon dont ils manipulent et cuisinent le poisson. De la fabrication d’appâts de pêche à partir d’insectes écrasés au nettoyage d’une pieuvre, chaque épisode présente des techniques et des méthodes de cuisson pour chaque type de poisson. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, l’éventail des activités des filles s’élargit, comme lorsqu’elles profitent de leurs vacances d’été pour aller pêcher dans les îles Gotô (voir Zoom Japon n°121, juin 2022), un archipel isolé de la préfecture de Nagasaki.
Ohitsuri-sama (2017-présent)
Kamij Seira est une employée de bureau de 24 ans qui est populaire dans son entreprise en raison de son apparence, de son éthique de travail et de sa personnalité. C’est une beauté talentueuse mais plutôt froide qui ne montre pas beaucoup d’émotions. Cependant, en dehors du bureau, c’est une fille un peu excentrique qui pense toujours à la pêche. Elle est très indépendante d’esprit et va toujours pêcher seule (le titre du manga est un jeu de mots sur tsuri (pêche) et ohitori-sama, c’est-à-dire les personnes qui aiment être seules).
Ayant grandi dans une famille où tout le monde, à l’exception de sa mère, était passionné de pêche, l’héroïne connaît ce loisir depuis son plus jeune âge. Elle est tellement douée qu’elle est enregistrée comme détentrice d’un record dans le magasin de matériel de pêche qu’elle fréquente. Comme elle préfère pêcher seule, la plupart des scènes de pêche de Seira consistent en des monologues qui se déroulent dans sa tête. Ces monologues constituent d’ailleurs l’un des points forts de l’œuvre.
Seira n’est pas du tout une pêcheuse difficile et va n’importe où pour attraper du poisson, y compris en rejoignant des couples et d’autres employés de bureau à l’étang de pêche local et en jetant des leurres dans les cours d’eau à côté des rizières – où il n’y a pas d’autres pêcheurs en vue – pour attraper des poissons-chats.
Miss Cast (2017)
Iiyama Kazuo est un mangaka qui a écrit plusieurs titres sur le thème de la pêche, et Miss Cast est un autre exemple de la récente tendance à associer la pêche à de jolies filles, ce qui est toujours un moyen sûr d’attirer l’attention des lecteurs otaku.
L’héroïne de cette histoire est Mizukawa Makoto, une talento (personnalité de la télévision) de 26 ans qui est sur le point d’être renvoyée de son agence de divertissement en raison d’un manque de travail. Son manager lui trouve un emploi dans une émission de pêche, et bien qu’elle ne soit pas du tout intéressée par la pêche, elle accepte en désespoir de cause. Inutile de dire que Makoto devient peu à peu accro au plaisir de la pêche.
Au début, l’histoire tourne autour de la pêche aux leurres dans des lieux de pêche artificiellement aménagés dans des étangs et des rivières, mais après le volume 2, lorsque Makoto s’est habituée à pêcher, le champ de ses activités s’élargit considérablement. En effet, le producteur de l’émission de pêche, sentant son pouvoir de vente, envoie Makoto à travers le pays et la jette dans des lieux et des situations toujours différents, pour lesquels elle n’a absolument aucune expérience. Ainsi, Makoto se retrouve à pêcher le bar à l’aide de leurres sur le rivage et à essayer d’attraper des sébastes. Dans le troisième tome, Makoto obtient un permis de bateau et part pêcher seule.
Ce qui est amusant avec Makoto, c’est que même si elle est accro à la pêche, elle ne cesse de répéter qu’elle préférerait faire autre chose. Associée à sa force d’esprit digne d’une célébrité, elle devient un type de protagoniste que l’on ne retrouve pas dans les autres mangas de pêche.
Tsuribito seikatsu (2017)
Encore un autre manga de pêche publié en 2017 (une année faste pour le genre), “La Vie du pêcheur”, si l’on traduit littéralement, de Satô Terushi est similaire à Okazu ga nakereba, sakana o tsureba ii janai en ce qu’il traite de la vie de pêche intense et dévorante d’un vétéran du manga.
Comme tous les dessinateurs de bandes dessinées japonais à succès, Satô mène une vie quotidienne trépidante, essayant toujours de battre la date limite hebdomadaire. Cependant, même lorsqu’il termine un nouveau manuscrit à 2 heures du matin, il saute dans sa voiture pour aller pêcher avec son éditeur tout aussi fatigué.
La description authentique de la pêche se déroule principalement à Katsuyama, sur la côte de la préfecture de Chiba, où le mangaka pêche la dorade noire. Cette méthode, qui consiste à utiliser une canne à pêche courte à partir d’un radeau ou d’un petit bateau, est particulièrement populaire dans la région du Kansai (Ôsaka et sa région), tandis que dans la région du Kantô (Tôkyô et sa région), il n’y a que quelques bons endroits à Chiba et à Kanagawa. L’intérêt de Tsuribito seikatsu est qu’il relate fidèlement les aventures de Satô, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Alors que sa cible principale est la dorade noire, il doit souvent se contenter de maquereaux et d’autres petits poissons de ce type. Une autre fois, après être descendu du bateau, il tente d’attraper des calmars bleus sur la digue, mais il rentre bredouille et subit les moqueries impitoyables de sa famille. Bien qu’il soit facile à lire, ce manga est extrêmement riche en informations sur les techniques de pêche et les lieux de pêche de la région de Kantô. Une autre caractéristique attrayante est qu’en plus des visages familiers habituels tels que les rédacteurs et les assistants, Satô va parfois pêcher avec d’autres célébrités passionnées de pêche telles que Takahashi Yôichi, célèbre auteur d’Olive et Tom.
Slow Loop (2018-aujourd’hui)
L’histoire d’Uchino Maiko est celle de Hiyori et Koharu, deux filles qui sont en première année de lycée (une autre caractéristique de l’intrigue couramment utilisée pour attirer les jeunes lecteurs). Elles se rencontrent pour la première fois sur une jetée où Hiyori pêche. Koharu ne semble pas connaître grand-chose à l’océan et Hiyori l’attrape littéralement avec une ligne de pêche juste avant qu’elle ne plonge dans la mer glaciale de l’hiver. Les deux s’entendent bien et deviennent rapidement de bonnes amies, mais elles sont surprises d’apprendre qu’elles sont sur le point de devenir demi-sœurs car la mère de Hiyori va épouser le père de Koharu.
Après avoir emménagé ensemble, elles se lient autour de la pêche. Elles vivent dans une ville au bord de la mer, et Hiyori connaît particulièrement bien la pêche, car elle a toujours vécu dans la région et pêche depuis son enfance, lorsqu’elle avait l’habitude d’attraper des poissons avec son père, aujourd’hui décédé. Hiyori est spécialisée dans la pêche à la mouche (une technique de pêche qui utilise un leurre ultra-léger appelé mouche artificielle, qui imite généralement de petits invertébrés tels que des insectes volants ou aquatiques pour attirer et attraper des poissons) et enseigne à Koharu tout ce qu’elle doit savoir sur sa passion. La pêche à la mouche n’ayant rien à voir avec les appâts vivants, c’est la technique idéale pour Hiyori qui déteste les insectes. En ce sens, Slow Loop est une lecture idéale pour ceux qui veulent se lancer dans ce type de pêche.
Koharu, quant à elle, n’est peut-être pas très expérimentée mais, en revanche, elle sait manier le poisson avec expertise et est douée pour la cuisine. En cuisinant les poissons qu’elles attrapent et en les servant à leur famille, elles apprennent également à mieux connaître leurs nouveaux parents et à créer un lien plus fort avec eux.
Gianni Simone