Etoile montante du 7e art, Fukada Kôji se montre très dur à l’égard de la structure familiale dans l’archipel.
Harmonium (Fuchi ni tatsu) de Fukada Kôji a été l’un des meilleurs films japonais de l’année dernière qui a reçu de nombreuses distinctions à l’étranger. Il raconte l’histoire tendue et sombre qui, pour une fois, brise le moule du film familial traditionnel au Japon.
D’où est venue l’inspiration de cette histoire ?
Fukada Kôji : En 2006 j’avais d’abord écrit un synopsis d’une page avec l’intention d’explorer deux problèmes distincts. Le premier est l’idée que n’importe qui peut être confronté à un moment de violence insensée. Cela peut être n’importe quoi – un meurtre, une catastrophe naturelle ou un acte de terrorisme – mais cela perturbe toujours nos vies. Le second est la notion de famille. En particulier, je voulais remettre en question l’image naïve et simpliste de la famille japonaise, que trop souvent on peut voir dans les téléfilms et ailleurs.
En 2010, vous avez réalisé le film Hospitalité (Kantai) qui semble avoir plusieurs points communs avec Harmonium. Quelle est la relation entre ces deux histoires ?
F. K. : À l’origine, Hospitalité était censé être le pilote de Harmonium. Il a finalement connu son propre développement. Comme vous l’avez remarqué, les deux films partagent le même cadre (une machikôba, voir Zoom Japon n°69, avril 2017) et l’apparition d’un homme mystérieux qui pénètre dans la vie d’une famille de classe moyenne inférieure et finit par chambouler leur petite vie tranquille. Tout en travaillant sur l’intrigue, j’ai commencé à penser qu’il serait intéressant d’inclure quelques gags à la Marx Brothers, et en fin de compte, il s’est transformé en cette sorte de comédie d’humour noir.
Nous avons récemment consacré un numéro aux machikôba. Je suis donc curieux de savoir pourquoi vous avez décidé d’utiliser un tel lieu comme cadre principal de vos deux films.
F. K. : Il y a dix ans, lorsque j’ai écrit le synopsis de ce qui finira par devenir Harmonium, j’ai décidé que je voulais utiliser une petite imprimerie comme lieu principal pour le film. J’ai aimé l’image et le bruit des machines d’impression au travail que j’avais vues dans de nombreux films anciens. Mais comme j’ai fini par utiliser cet endroit pour Hospitalité, quand j’ai finalement réalisé Harmonium, j’ai opté pour un atelier de travail des métaux. J’aime vraiment ce genre de lieux parce que c’est, à la fois, un lieu privé et public. Le père travaille en bas, tandis que la famille vit en haut. Traditionnellement, c’était très courant pour de nombreuses familles au Japon. En outre, ce n’est pas seulement une question d’espace physique. Parce que les environnements privés et publics coexistent, la famille est moralement et émotionnellement affectée par ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de la maison de plusieurs façons. En tant que conteur, je trouve cela très intéressant..
Vous avez souvent déclaré votre amour pour le cinéma français. Lors de la comparaison de Hospitalité et Harmonium, certains critiques ont déclaré que le premier leur rappelait Eric Rohmer tandis que le second était plus proche de l’approche sérieuse de Robert Bresson pour le cinéma. Êtes-vous d’accord avec leur opinion ?
F. K. : Il arrive souvent que différentes personnes voient des choses différentes dans un film, et je ne discuterai pas de ça. J’aime vraiment Rohmer et Bresson, alors si mes films rappellent aux gens ces deux grands réalisateurs, j’en suis très heureux. Il est même possible d’avoir été inconsciemment influencé par leur style tout en travaillant sur mes films. Dans le même temps, je tiens à souligner que je ne me suis jamais mis à faire un film pour être plus accepté par le public étranger. Cela me dérange, par exemple, quand quelqu’un dit que mon objectif est de faire passer mon film à Cannes. Mon seul but est de raconter une histoire qui, bien qu’elle soit fixée au Japon, traite de problèmes universels.
Pourquoi aimez-vous tellement Rohmer ?
F. K. : J’adore la façon dont il raconte ses histoires; Son travail de caméra et ses dialogues. Ses films ont une sensation très contemporaine. Les personnages de Rohmer parlent constamment de nombreuses choses, mais leurs mots cachent souvent leurs vrais sentiments. Il laisse aux spectateurs découvrir ce qu’ils essaient vraiment de dire.
Quel genre de famille vouliez-vous présenter dans Harmonium ?
F. K. : Il s’agit d’une famille brisée ; une famille nucléaire dont les liens émotionnels – en particulier entre le mari et la femme – ont été mis en suspens pendant trop longtemps, jusqu’à ce qu’une tragédie inattendue leur fasse réaliser la situation. Je ne sais pas s’ils représentent une famille typiquement japonaise, mais mes parents étaient certainement comme eux. Il n’y avait aucun dialogue entre eux et finalement ils ont divorcé. Par conséquent, pour moi, il n’y a rien de spécial dans la famille que j’ai représentée dans mon film. Quand j’étais à Cannes quelques journalistes étrangers, probablement européens, ont souligné que les drames familiaux occidentaux se concentrent généralement sur le couple, alors que les films japonais semblent être plus centrés sur la famille dans son ensemble. Je suppose que c’est un fait culturel – non seulement au Japon mais en Asie orientale dans son ensemble – on préserve et favorise les valeurs familiales traditionnelles. C’est ce que le gouvernement Abe essaie de faire dans ce pays. La relation “romantique” entre mari et femme n’est jamais aussi importante que leur rôle en tant que mère et père. Malheureusement, cela se fait souvent au détriment de leur relation.
Que pensez-vous de la politique du gouvernement japonais concernant la famille ?
F. K. : Je pense qu’elle est très incohérente et pleine de contradictions. D’un côté, Abe Shinzô parle de favoriser le rôle des femmes dans la société et le marché du travail par le biais de ce qu’il appelle les “womenomics”, mais d’un autre côté, il est clair que pour de nombreux membres du Parti libéral démocrate, une femme doit rester à la maison pour élever ses enfants. Au Japon, il est extrêmement difficile d’être à la fois mère et de mener une carrière professionnelle. Les statistiques montrent que beaucoup de femmes préfèrent continuer à travailler et être indépendantes, même si cela se traduit par l’absence d’enfants ou même de mariage.