Dans les montagnes qui entourent Hiroshima se déroule chaque année un rituel qui vaut le déplacement. Ce qu’on désigne sous le terme yabusame (tir à l'arc à cheval) trouve son origine au VIe siècle et se présente comme un rituel guerrier en faveur de la santé et de la bonne fortune. Il se déroulait seulement dans l’enceinte des sanctuaires. Au cours de l’époque de Kamakura (1192-1334), il s’est transformé en un exercice spirituel et physique destiné à insuffler l’esprit zen aux guerriers samouraïs. C’est dans la région d’Usa sur l’île de Kyûshû que la première épreuve de yabusame aurait été organisée par l'empereur Kinmei (509-571). Elle aurait eu lieu sur le site du sanctuaire Hachiman pour célébrer la paix et demander de bonnes récoltes. Hachiman est une divinité populaire qui protège les guerriers et veille généralement au bien-être de la communauté. Mais c’est en 1096 qu’on trouve la première référence d’un événement de ce type organisé pour l'ancien empereur Shirakawa. De nos jours, ce rituel spectaculaire se déroule dans des sanctuaires célèbres comme celui de Hachiman Tsurugaoka à Kamakura ou encore celui de Meiji à Tôkyô. Ces spectacles attirent des milliers de spectateurs qui viennent admirer ces archers à cheval dans leurs somptueux costumes tirant des flèches sur des cibles tandis que leur cheval est au galop. Curieusement, il est aussi organisé dans le petit village de Togouchi, dans les montagnes du Chûgoku de la préfecture de Hiroshima. Cet événement remonte à 1439, à l’époque de Muromachi. Il a été relancé en 1991 après avoir été abandonné pendant des décennies. Il a désormais lieu chaque année le premier dimanche d'octobre. Il s’agit de l’unique épreuve de yabusame organisée dans la préfecture de Hiroshima. Lorsqu’on se rend à Togouchi, à travers les magnifiques montagnes couvertes de forêts, le long de la majestueuse rivière Ota, on ne peut pas s’empêcher de remarquer le nombre impressionnant de personnages en paille qui semblent se prélasser au milieu du paysage. On reconnaît des pêcheurs solitaires sur des ponts, des couples appuyés contre une balustrade, des familles entières dans des champs, certains habillés en kimono ou en costume paysan, d'autres portants des jeans. Et on se demande ce qu’ils font là. Juste à l'extérieur de Togouchi, des bannières colorées dont certaines virevoltent au bout de longues tiges en bambou annoncent l'événement. Pourtant, la piste située le long de la rivière où doit se dérouler le rituel est vide. On n’aperçoit qu’une longue lignée de photographes avec leurs trépieds en train de s’installer pour avoir le meilleur point de vue. L’une des rares personnes présentes est un vieillard assis sous son chapeau de paille. Il s’avère que c’est un vétéran des yabusame. Il a participé au grand rassemblement de Kyûshû. Il nous recommande également celui de Tsuwano, dans la préfecture de Yamaguchi, qui est organisé “au moment des cerisiers en fleurs”. “Pour l’instant, ils sont tous au sanctuaire pour la cérémonie”, dit-il en levant la tête en direction de la colline qui surplombe la route. “Vous devriez y aller voir”. Le sanctuaire Hori Hachiman de Togouchi est un des 25 000 sanctuaires Hachiman de l’archipel. Autour de lui, se dressent de magnifiques cèdres qui donnent l’impression d’être là depuis que la déesse Amaterasu a quitté sa grotte! A l’intérieur du bâtiment, des personnes âgées chantent et frappent sur leurs tambours. Voilà les seuls sons que l’on peut entendre en cette matinée ensoleillée. A l’extérieur, les photographes attendent patiemment dans une atmosphère tranquille et détendue. Rien à voir avec l’ambiance des yabusame de Tôkyô ou de Kamakura bondés de monde. Ici au milieu des arbres séculaires, le kami (dieu) du lieu semble présent, créant un lien presque palpable avec les cérémonies du passé. Enfin, apparaît un cheval blanc dirigé par un jeune garçon en happi tenant un sac en plastique et une pelle à la main ...