Tandis qu’on commémore le 70e anniversaire de la fin de la guerre, deux ouvrages nous éclairent sur cette période.
Le 3 septembre, la Chine populaire célèbrera de façon ostentatoire la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie. Une date choisie, pour la première fois l’année dernière, pour marquer la fin de ce que les Chinois appellent communément “guerre de résistance contre l’occupation japonaise”. En Europe, on oublie souvent que le conflit mondial n’a pas commencé le 1er septembre 1939 lorsque l’Allemagne a envahi la Pologne, mais qu’il a débuté en 1931 en Chine avec “l’incident de Mandchourie” qui a servi de prétexte à l’armée impériale pour mener une guerre qui n’avait pas de nom. Dans leur remarquable ouvrage Le Japon en guerre, Haruko Taya Cook et Theodore F. Cook rappellent d’ailleurs que “aussi étrange que cela puisse paraître, plus d’un demi-siècle après la fin du conflit, la guerre n’a même pas un nom unique sur lequel toute la nation s’accorde. Pendant nos entretiens, les gens parlaient de la guerre du Pacifique, “la guerre de la Grande Asie orientale, “l’incident de Chine”, “la guerre sino-japonaise”, “la guerre de quinze ans”, ou nous expliquaient que la guerre en Asie n’avait rien à voir avec le reste de la “Seconde Guerre mondiale”.”
Le principal intérêt de ce livre repose sur les nombreux témoignages recueillis par ce couple de professeurs à la William Patterson University grâce auxquels on saisit mieux comment le Japon a vécu “la guerre”. Ils ont rencontré des gens ordinaires ou des officiers présents à Nankin, un cadet de la marine devenu abbé bouddhiste zen, un ingénieur sur la ligne de chemin de fer Birmanie-Siam, un pilote de chasse sur la frontière soviétique ou encore des victimes du premier bombardement atomique de l’histoire à Hiroshima, le 6 août 1945. Chacun d’entre eux livre sans ambages son expérience et apporte un éclairage intéressant sur cette période. Dans Les Japonais et la guerre 1937-1952 (Fayard, 2013), Michael Lucken nous avait déjà offert une vision de l’intérieur, en explorant la manière avec laquelle la population avait réagi à cette situation. L’historien français avait notamment souligné les sentiments contradictoires qui agitaient alors la société japonaise, contredisant ainsi l’idée d’unanimité de tout un peuple prêt à mourir sans sourciller pour l’empereur.
Constance Sereni et Pierre-François Souyri s’intéressent aussi à cet aspect des choses par le biais des “unités spéciales d’attaque” (tokubetsu kôgeki-tai ou tokkô) plus connues sous le nom de kamikazes. Les deux spécialistes du Japon à l’université de Genève reviennent en détail sur la manière dont ces “bombes humaines” ont été recrutées et comment l’état-major japonais a imaginé de recourir à cette stratégie alors que la défaite du pays était inéluctable. Ils démontent de façon implacable le mythe fondateur du premier kamikaze sur lequel Ônishi Takijirô se serait appuyé pour imposer cette tactique. En effet, ce dernier part du sacrifice du vice-amiral Arima Masafumi qui aurait jeté son avion contre le porte-avions USS Franklin. “Une histoire qui a largement été embellie par la marine japonaise”, assurent les deux auteurs. Si elle permet de valider la création des tokkô, elle n’est pas suffisante pour convaincre les hommes qui seront désignés pour accomplir les missions suicides. Aux Philippines, entre décembre 1944 et janvier 1945, environ 650 sont menées et 27 % d’entre elles parviennent à endommager un navire ennemi. “Le taux de succès est assez élevé pour justifier l’utilisation continue de la tactique kamikaze”. Malgré le conditionnement idéologique, tous les pilotes ne sont pas prêts à mourir. “Je le dis clairement : je ne meurs pas parce que j’en ai envie”, écrit Ôtsuka Akio quelques jours avant de mourir le 28 avril 1945. Grâce à ces deux ouvrages qui se complètent, on appréhende beaucoup mieux pourquoi ce conflit pèse encore sur le Japon 70 ans après. Un poids dont il a beaucoup de mal à se séparer.
Odaira Namihei
Références :
Le Japon en guerre de Haruko Taya Cook & Theodore F. Cook, trad. de l’anglais Danièle Mazingarbe, Editions de Fallois, 22 €
Kamikazes de Constance Sereni & Pierre-François Souyri, éd. Flammarion, coll. Au fil de l’histoire, 22 €