Si vous ne l’avez pas encore vu, profitez de la sortie DVD et Blu-ray du film de Hamaguchi Ryûsuke pour le faire.
Lorsque nous avions rencontré Hamaguchi Ryûsuke, en 2018, dans le cadre d’un dossier consacré aux valeurs montantes du cinéma japonais (voir Zoom Japon n°80, mai 2018), ce dernier nous avait déclaré sa passion pour le cinéaste américain John Cassavetes. “Regarder un de ses films, c’est comme regarder de vraies personnes qui vivent dans la vraie vie, pas des acteurs qui jouent dans une histoire fictive”, nous avait-il expliqué. En visionnant Drive my car dont le DVD et le Blu-ray sont sortis, début mars, quelques jours avant que le film ne soit récompensé aux Oscars, ces paroles nous montrent que le cinéaste de 43 ans est parvenu à atteindre son objectif puisque les personnages de son film respirent une vérité sans laquelle probablement les spectateurs se lasseraient.
Comme il a toujours essayé de le faire depuis qu’il s’est lancé dans la mise en scène de films, Hamaguchi Ryûsuke s’est attelé dans ce long-métrage, couronné par le prix du Scénario au festival de Cannes et choisi comme meilleur film de l’année lors de la 45e cérémonie des Prix de l’Académie japonaise des arts cinématographiques, équivalent des Césars et des Oscars, à “faire ressortir la voix authentique d’un personnage – une voix qui exprime sincèrement les sentiments et les émotions de ce personnage”. C’était d’autant plus important dans ce film où les deux protagonistes Kafuku Yûsuke (Nishijima Hidetoshi), metteur en scène de théâtre dont la femme vient de mourir après qu’il ait appris qu’elle le trompait avec l’acteur de sa pièce, et Watari Misaki (Miura Tôko), la jeune femme qui le conduit entre son hôtel et le théâtre où il doit monter Oncle Vania, de Tchekhov, sont totalement étrangers l’un à l’autre et qu’il doit s’établir une connexion indispensable pour que le film tienne la route.
C’est au cours de ces fréquents trajets durant lesquels Kafuku écoute souvent l’enregistrement de la voix de son épouse décédée, que les deux personnages apprendront non seulement à se connaître l’un et l’autre mais surtout à se connaître eux-mêmes, à exprimer leurs propres faiblesses. Dans la dernière partie du film qui se transforme en road-movie, à la faveur d’un voyage de Hiroshima jusqu’à Hokkaidô, on assiste à l’expression des sentiments qui ont été nourris par les échanges et surtout les silences auxquels les spectateurs ont assisté depuis le début.
Derrière ce film qui évoque un certain travail autour du deuil, celui de ce metteur en scène qui a perdu sa femme adultère, Hamaguchi Ryûsuke semble vouloir montrer à quel point la voie vers le bonheur est semée d’embûches dont nous les spectateurs, à travers ses deux protagonistes, sommes les dépositaires et que nous devons contourner ou éliminer pour atteindre le bonheur. Bien que le cinéaste n’y fasse jamais allusion, Drive my car est un lointain écho au célèbre Mouchoirs jaunes du bonheur (Shiawase no kiiroi hankachi, 1977), film de Yamada Yôji où un homme sortant de prison entreprend un voyage à bord d’une voiture rouge sur les routes de Hokkaidô en compagnie d’un jeune couple improbable afin de retrouver sa femme (toujours vivante) dont il a divorcé après son incarcération.
Dans les deux films, c’est la quête de l’apaisement et du bonheur qui animent les différents protagonistes. Hamaguchi Ryûsuke y parvient de façon beaucoup moins démonstrative que son aîné, car il construit sa démarche sur une approche beaucoup plus intérieure, une habitude chez lui depuis Passion (2008), l’une de ses premières réalisations.
Gabriel Bernard
Référence
Drive my car (Doraibu mai kâ), de Hamagauchi Ryûsuke avec Nishijima Hidetoshi, Miura Tôko, Okada Masaki. Couleurs. 177 mn. Diaphane. DVD & Blu-ray.