Avec La Maison au toit rouge, Yamada Yôji a pu enfin obtenir une véritable reconnaissance internationale.
Plusieurs vétérans issus du système des anciens studios mis à mal par l’avènement de la télévision continuent de travailler. A 83 ans, Yamada Yôji est néanmoins le seul à travailler pour le studio avec lequel il avait démarré en 1954. Il a dirigé quelque 81 films pour la Shôchiku dont l’origine remonte à 1920 et qui a été entre autres la maison d’Ozu Yasujirô et d’Ôshima Nagisa.
C’est la série Otoko wa tsuraiyo [C’est dur d’être un homme, voir pp. 16-17] qui a été la principale source de succès de Yamada et ce qui lui a permis de bâtir sa réputation. Les 48 films tournés entre 1969 et 1995 ont non seulement permis au cinéaste de conserver son emploi, mais aussi au studio de rester financièrement à flots.
Il a aussi obtenu sa part de renommée internationale grâce à sa trilogie de films de samouraïs, volontiers humaniste, constituée par Le Samouraï du crépuscule (Tasogare Seibei, 2002), Le Samouraï et la servante (Kakushi ken oni no tsume, 2004) et Love and Honnor (Bushi no ichibun , 2006). Le Samouraï du crépuscule étant le tout premier film en costumes réalisé par Yamada. Racontant l’histoire d’un samouraï de rang inférieur obligé de prendre les armes pour défendre l’honneur de sa famille, ce film a valu à Yamada d’être inscrit dans la sélection pour l’Oscar du meilleur film étranger et de recevoir 13 prix dont celui du meilleur réalisateur lors des récompenses annuelles du cinéma japonais.
En dépit de ces nombreux prix, Yamada Yôji demeure encore un cinéaste négligé par la plupart des critiques et des spécialistes étrangers du cinéma, surtout lorsqu’il s’agit de comparer avec un réalisateur comme Ozu qui a fait le nom de la Shôchiku. D’une part, la série Otoko wa tsuraiyo lui a donné l’image d’un cinéaste populiste, pas très sérieux, alors qu’au Japon, son statut est bien plus élevé notamment grâce à son road-movie Shiawase no kiiroi Hankachi [Les mouchoirs jaunes du bonheur], de 1977 qui a été nommé parmi les 100 meilleurs films japonais du XXe siècle par Kinema Junpô, la plus ancienne revue de cinéma de l’archipel.
La Maison au toit rouge (Chiisai ouchi) ne devrait pas bouleverser cette situation dans la mesure où
l’on se trouve devant un drame familial dont Yamada s’est fait une spécialité. Né en 1931, le cinéaste a non seulement vécu la période 1935-1945 décrite dans le film, mais il a su mettre en évidence avec finesse tout ce qui fait le charme de ce film depuis la décoration jusqu’aux mœurs sociales.
La maison au toit rouge semble tout droit venue du musée d’architecture situé dans le parc Koganei à Tôkyô, où l’on trouve des exemples remarquables de maisons du XIXe et au début du XXe siècle, ainsi que des bâtiments commerciaux, désormais rares in situ en raison des destructions de la guerre et de la période de reconstruction d’après-guerre. Le film décrit avec justesse les conditions de vie de la classe moyenne supérieure qui, pour les classes ouvrières des années 1930, relevait du rêve, et aujourd’hui semble agréable et idyllique mais qui ont totalement disparu.
Les dialogues coécrits par Yamada Yôji et Hiramatsu Eriko constituent également un retour vers le passé, cette fois vers l’époque d’Ozu dont le chef-d’œuvre Voyage à Tôkyô (Tôkyô Monogatari, 1953) a fait l’objet d’un remake signé Yamada en 2013 sous le titre Tôkyô kazoku (Tokyo Family).
L’histoire, comme celles des films d’Ozu dans les milieux bourgeois semblables, n’est pas un simple retour en arrière nostalgique sur une époque où tout était plus simple. Il s’agit plutôt d’une histoire d’amour dont est témoin une jeune servante au cœur pur et qui se la remémore quelques décennies plus tard.
Cette structure de flash-back est devenue courante dans plusieurs films japonais récents dont le récit se déroule dans cette période compliquée des années 1930 que les cinéastes entendent expliquer aux plus jeunes spectateurs. Cependant, Yamada utilise également cette structure pour illustrer comment le passage du temps adoucit l’impact des émotions et des actes qui auraient pu autrefois bouleverser une vie – ou du moins mettre en danger un mariage.
Le film commence dans le présent, peu de temps après la mort de Taki interprétée par Baishô Chieko, une femme âgée qui s’est lancée dans l’écriture de ses mémoires sous l’impulsion de son petit-neveu Takeshi (Tsumabuki Satoshi) qui se montre parfois un peu critique à son encontre. L’histoire se déplace rapidement à 1935, lorsque Taki (Kuroki Haru), une jeune fille originaire de la préfecture de Yamagata se rend à Tôkyô pour travailler comme bonne à tout faire. Après une année passée auprès d’un écrivain (Hashizume Isao), elle part travailler pour le propriétaire de la “maison au toit rouge”, Hirai Masaki (Kataoka Takataro), un dirigeant d’une entreprise de jouets, qui y vit avec son épouse Tokiko (Matsu Takako) et leur fils de 5 ans, Kyôichi.
Taki entre au service des Hirai, en particulier de l’épouse Tokiko, une femme cultivée et indépendante. Puis, à l’occasion d’une fête de Nouvel an, Tokiko fait la connaissance d’Itakura (Yoshioka Hidetaka), un jeune designer qui travaille dans l’entreprise de son mari. Lui aussi originaire du nord de l’archipel, Itakura est un artiste jusqu’au bout des ongles. Il se montre indifférent aux discours des autres hommes sur la guerre et les profits. Il entame avec Tokiko, qui admire son talent pour le dessin et partage sa passion pour la musique classique, un amour platonique.
De son côté, Taki observe d’un œil bienveillant l’éclosion de cette amitié dans la mesure où elle apprécie aussi le gentil Itakura. Mais la passion naissante entre sa patronne et le jeune designer ne manque pas de l’alarmer. Cependant, Yamada n’a pas construit un triangle amoureux classique. Au lieu de cela, il a fait un film dans lequel il essaie de voir comment cette liaison amoureuse (s’il s’agit bien d’une liaison) affecte les relations de Taki avec Tokiko et sa vie future.
Taki passe de la rustre et peureuse campagnarde à la confidente qui peut, lorsque la situation l’exige, dire la vérité même la plus dure à sa patronne. Kuroki Haru, une nouvelle actrice pleine de promesses, gère cette transition avec grâce et aplomb, ce qui lui a valu d’obtenir l’Ours d’argent de la meilleure actrice au 64e Festival international du film de Berlin en 2014.
Issue d’une famille de célèbres acteurs de kabuki Matsu Takako interprète avec brio Tokiko une démocrate pétillante qui peut brusquement se transformer en une femme dure si elle est contrariée ou si on refuse de céder à ses envies. Elle a pris l’habitude de se comporter ainsi et ne fait pas grand cas de ce que peuvent penser les autres.
Le film lui-même, cependant, vacille vers la fin avec la révélation du grand secret de Taki qu’elle a gardé pendant 60 ans. Yamada Yôji, un cinéaste populiste jusqu’au bout des os, ne peut s’empêcher de conduire l’action du film vers une fin commerciale labélisée. Dans le même temps, il évoque tranquillement de nombreuses tragédies de l’époque liées à des espoirs déçus et des projets avortés.
Quant à la petite maison elle-même, il vous faudra chercher longtemps pour trouver quelque chose qui lui ressemble à Tôkyô, à moins de vous rendre au musée du parc Koganei.
Mark Schilling
Références :
La Maison au toit rouge (Chiisai ouchi), de Yamada Yôji d’après le roman de Nakajima Kyôko. 2h16. Avec Matsu Takako, Kuroki Haru, Baishô Chieko.