Etoile montante du manga, l’auteur de I am a Hero se confie sur son travail. Il évoque également son regard sur la société japonaise.
Hanazawa Kengo a déjà quelques succès à son actif. Le dernier en date, I am a Hero [éd. Kana] est publié depuis 2009 dans le magazine Big Comic Spirits. Profitant de son passage en Europe pour le festival Made in Asia à Bruxelles, le mangaka nous a parlé de son parcours et de ce manga particulièrement efficace.
Votre manga I am a Hero bénéficie d’une certaine reconnaissance à l’étranger. Il a même fait partie de la sélection officielle du Festival d’Angoulême. Que pensez-vous de cette popularité ?
Hanazawa Kengo : Franchement, ça m’a étonné. C’est très étonnant qu’un manga dont le héros est un Japonais raté ait reçu un tel accueil à l’étranger. Ça me soulage de savoir qu’il y a d’autres personnes qui me ressemblent dans le monde et pour qui je suscite de la sympathie. Je suis aussi content de voir que la culture typiquement japonaise pourtant difficile à saisir par les étrangers soit aussi bien reçue.
Racontez-nous comment est né votre manga I am a Hero.
H. K. : En général, quand on commence une nouvelle série, on fait des réunions avec son éditeur pour déterminer l’histoire que l’on va construire. Pour ce nouveau manga, nous avons décidé d’aborder les thèmes de la “peur” et de la “destruction”. J’ai beaucoup discuté avec mon éditeur pour découvrir la peur qui était en moi. Quand j’y pense, je suis peureux depuis mon enfance. Même si je n’ai pas eu à souffrir d’une expérience particulière, j’avais peur d’aller aux toilettes tout seul. Cette peur enfantine est restée en grandissant. Quant à la notion de “destruction”, c’est lié à ma série précédente Boys on the run. J’ai vécu une période très dure au cours de laquelle j’ai eu un vrai blocage au niveau des idées. A ce moment-là, lorsque je faisais l’aller-retour entre la maison et l’atelier, il m’est arrivé de temps en temps d’avoir envie de tout foutre en l’air. Quand j’ai réfléchi à l’histoire qui collerait au thème de la “peur” et de la “destruction”, l’idée du zombie m’est apparue comme parfaitement adaptée. D’autant qu’il n’y a quasiment pas de mangas au Japon qui parlent de zombies. En revanche sur le plan cinématographique, je peux citer 28 jours plus tard, L’armée des morts, REC ou Je suis une légende. I am a Hero s’est d’ailleurs inspiré de Je suis une légende.
Le zombie n’apparaît qu’au onzième épisode, ce qui est plutôt tardif. Pourquoi ?
H. K. : Dans les magazines hebdomadaires, on peut en général imaginer le scénario global d’une série au bout du deuxième ou troisième épisode. Cette fois-ci, j’avais envie de tromper le lecteur et de le surprendre. J’ai ainsi fait appraître le zombie au moment où le lecteur commençait à penser que le manga racontait le quotidien d’un dessinateur de manga. La scène où apparaît pour la première fois le zombie a été inspirée par le film d’horreur Paranormal Activity. Au lieu de changer de plan, je me suis dit que ça ferait plus réaliste de fixer la caméra. Autrement dit, si j’avais trop zoomé ou choisi un plan trop large, je crois que cela aurait perdu de son réalisme. D’une certaine façon, j’avais envie d’adopter une approche documentaire.
Est-ce que Hideo, assistant d’un mangaka, le personnage principal de I am a Hero vous ressemble ?
H. K. : Oui. Quand j’ai commencé cette série, je voulais coller davantage à la réalité que dans mes œuvres précédentes. C’est pour cela que j’ai décidé de créer le personnage principal à mon image. Son visage est le mien, même si je n’ai pas la même coupe de cheveux. Ensuite, je pense que si je n’avais pas su dessiner, je serais devenu un raté. J’ai toujours pensé que j’étais un moins que rien. Je n’ai jamais eu l’intention de tirer sur quelqu’un, car de toute façon, c’est un crime. Au Japon, la loi sur les armes à feu est particulièrement sévère. C’est plutôt rare de pouvoir en toucher une. Le réalisme de ce manga ne concerne pas seulement Hideo. Par exemple, je suis parti à la recherche de cadavres dans les forêts au pied du mont Fuji afin de pouvoir sentir l’odeur des cadavres [de nombreuses personnes vont s’y donner la mort]. En définitive, je n’y ai trouvé que des os.
Il arrive à Hideo de nier la réalité en pénétrant dans un monde imaginaire. Pourquoi ?
H. K. : Le personnage principal a des problèmes de communication. Il a du mal à vivre dans le monde réel et il s’enfuit dans un monde imaginaire. Lorsque vous êtes mangaka, la réussite vous propulse au sommet de la société. En revanche, quand ça ne marche pas, vous vous trouvez au bas de l’échelle. Comme nous vivons dans une société inégalitaire, une grande partie des mangaka sont soumis à un fort stress. Les assistants des mangaka assurent leur travail, mais vu de l’extérieur, ils apparaissent souvent comme des personnes un peu suspectes dont on ne sait pas grand chose de leur activité.
A la différence des Japonais ordinaires, ces personnes suspectes sont en mesure de survivre à des situations critiques.
H. K. : Quand on appartient à cette catégorie ou quand on est un raté, on ne peut vivre parfois qu’en fuyant la réalité. Aussi en cas de crise réelle, ces personnes font preuve d’une force étonnante car elles disposent d’une méthode grâce à laquelle elles gardent leur sang froid en fuyant la réalité. En ce qui me concerne, si j’étais attaqué par un zombie, il est probable que je deviendrais un zombie après avoir été mordu sans me battre. Je préfère être un zombie car c’est moins stressant. (rires)
Comment êtes-vous devenu mangaka ?
H. K. : Comme je ne voulais pas faire la même chose que les autres, je ne suis pas entré dans une école spécialisée dans le manga. J’ai fait une école d’informatique. Une fois diplômé, j’ai d’abord travaillé dans une imprimerie avant de devenir l’assistant du mangaka Uoto Osamu. C’est une personne qui aime la précision. Quand il dessinait un onigiri, il faisait grand cas de la place de l’algue. Sinon, pendant un certain temps, j’ai aussi travaillé pour Yamamoto Hideo. Pour lui, il était important de faire des expériences réelles pour réaliser ses mangas. Influencé par cet auteur, je procède toujours à une enquête avant de me lancer dans la réalisation de mes propres mangas. Après avoir renoncé à mon premier manga Ressentiment, j’ai été assistant pendant un certain temps. Aujourd’hui étant marié, j’ai quelqu’un qui m’écoute, mais à l’époque, comme Hideo, il m’arrivait de parler tout seul pour critiquer la société qui m’entourait.
Hideo enrage au début de devenir le héros de sa propre existence. Petit à petit, il s’impose comme un héros.
H. K. : Un zombie n’a rien d’extraordinaire. Dans ce sens, le zombie en tant que tel joue un rôle secondaire. C’est un des thèmes de mon manga dont j’ai pris conscience récemment. Etant donné que le personnage principal a un lien avec moi, s’il m’arrive de penser que je ne suis pas le personnage principal de ma propre vie, Hideo ne le pourra pas non plus.
Hideo sera le dernier survivant de ce monde ?
H. K. : Je me le demande. Je ne sais pas encore, mais j’ai une idée un peu vague de ce qui se passera. En général dans la plupart des films de zombies, ça se termine sans qu’on sache vraiment ce qu’ils étaient vraiment. Moi, je souhaite apporter une réponse.
Dans votre manga, vous montrez des Japonais incapables de réagir à l’apparition des zombies. Est-ce un moyen de critiquer une société qui ne connaît pas le sentiment de crise et une volonté de provoquer un choc ?
H. K. : Humm. J’ai commencé avant le séisme du 11 mars 2011. C’est quelque chose que j’ai construit dans mon imagination. La réalité m’a dépassé. Je me demande s’il ne faudrait pas que je fasse évoluer ma façon de penser. Avant le séisme, j’évoquais la destruction dans une réalité bien tranquille, mais puisque cette réalité a été détruite, je devrais peut-être changer la façon de m’exprimer même lorsque j’aborde des situations violentes. Il se peut que ce manga n’aurait pas vu le jour si le séisme avait eu lieu avant. La conscience du danger est très faible chez les Japonais. Ils ne savent pas quoi faire face au danger, mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose. J’en ai pris conscience face à l’esprit de solidarité des Japonais après le sésime.
Boys on the Run a été adapté au cinéma en 2010 avant d’être adapté à la télévision en 2012. I am a Hero a été nommé pour le Grand prix du manga et bénéficie d’un bon accueil à l’étranger. Face à ce succès, est-ce difficile de dessiner des ratés ?
H. K. : Non. Je ne peux pas encore sortir de l’univers de ces personnages de raté. Je sais que pour en sortir, j’ai besoin d’accumuler de la confiance en moi. Pour le moment, si je me dessinais comme un superman, j’aurais l’impression de mentir. Puisque je ne veux pas dessiner des mensonges, je crois que je vais continuer à dessiner des ratés.
Est-ce difficile de tenir les délais quand on travaille pour un magazine hebdomadaire ?
K. K. : En général, quand je réalise une série, c’est l’éditeur qui surveille et qui gère tout. J’arrive donc à respecter les délais. Parfois, quand je me concentre trop sur ce qui est devant moi, il m’arrive d’oublier ce que j’ai dessiné la semaine précédente. C’est au moment de la relecture que je me rends compte de ce que j’avais fait avant. Je passe la plupart de mon temps dans mon atelier qui est aussi ma maison et lorsqu’il m’arrive de me reposer, je vais au restaurant avec mon épouse.
Propos recueillis par Sayaka Atlan
Référence :
I am a hero de Hanazawa Kengo, trad. par Pascale Simon, Editions Kana, coll. Big Kana 7,45 €.
7 volumes déjà parus. www.kana.fr