Pour son retour dans les librairies françaises, l’auteur de La Ballade de l’impossible signe un très grand roman d’amour.
Après un peu plus de deux ans d’attente, les fans français de Murakami Haruki peuvent enfin se procurer les deux premiers tomes de son dernier roman phénomène 1Q84. Considéré avec raison comme l’événement de la rentrée littéraire 2011 dans le domaine étranger, ce texte fleuve est un bijou qui prouve une nouvelle fois que l’auteur japonais figure bien parmi les grands noms de la littérature mondiale. A sa sortie dans l’archipel, l’ouvrage a donné lieu à de très nombreuses analyses et des édieturs très malins ont publié des ouvrages ou des éditions spéciales de leurs magazines pour aider les lecteurs à se retrouver dans le nouvel univers imaginé par Murakami, un monde double au sein duquel les protagonistes doivent trouver leur voie vers ce qui pourra les rendre heureux.
Ce qui frappe d’abord à la lecture de ce roman, c’est la capacité d’une société d’un pays industrialisé et riche comme le Japon à anihiler l’amour, en particulier son expression chez les jeunes. Les seuls personnages qui sont capables d’amour envers les autres sont les plus âgés, les autres semblent avoir tiré un trait sur ce qui distingue l’homme de la machine : l’expression de ce sentiment. Aomame et Tengo, dont on suit alternativement le parcours, ne sont en définitive dans le monde réel, celui de l’année 1984, que des machines. La première est une machine à éliminer des salauds, des hommes coupables de violence envers les femmes. “C’était une pro. Une pro proche de la perfection”, explique Murakami. De son côté, Tengo est une machine à écrire et à enseigner. Il peut transformer un ouvrage de qualité moyenne en chef-d’œuvre et lui faire obtenir le prix Akutagawa, l’équivalent du Goncourt au Japon. Un clin d’œil de Murakami qui n’a jamais obtenu cette récompense.
Mais on ne peut pas vivre sans amour. On peut bien sûr assouvir ses besoins sexuels. Aomame couche avec des hommes rencontrés dans des bars tandis que Tengo a une relation régulière avec une femme mariée à l’égard de laquelle il ne manifeste guère de sentiments. Murakami montre à quel point il est difficile de vivre sans amour et il embarque le lecteur dans une quête semée d’embûches. Pour l’auteur, ce n’est pas dans le monde réel que la solution se trouve, mais dans un univers parallèle qu’Aomame désigne sous le terme 1Q84. “L’année 1Q84. C’était le lieu où elle se trouvait”.
Dans cet espace où il existe deux lunes, il y a la possibilité de retrouver l’amour, ce sentiment étrange remplacé dans le monde réel par de faux semblants, la cruauté et des croyances qui nous aveuglent. Pour Aomame et Tengo, deux êtres privés d’amour dans leur enfance, la reconquête s’annonce difficile. Les épreuves pour y parvenir vont être parfois terribles. Murakami se montre d’ailleurs dans ce roman plus cru que d’habitude, mais cela vaut la peine de prendre des risques. “Du moment que je peux aimer quelqu’un du fond du cœur, et même s’il n’existe pour moi que lui et lui seul, l’aimer m’aide à vivre. Même si je ne peux pas être avec lui”, déclare Aomame. Tout est dit. C’est simple et fort à la fois. Evidemment, il y a l’histoire des sectes, les viols, les morts, des thèmes qui portent à discussion, mais dans le fond, Murakami a écrit un formidable roman d’amour qui tente de répondre à notre soif de sentiment. Il a choisi d’ancrer son histoire en 1984 pour mieux souligner cette absence, car depuis le début des années 2000, nous pensons avoir trouvé le remède à notre pauvreté sentimentale avec Internet et tous ces outils dits de communication. Oubliez-les et suivez le guide Murakami. Vous ne le regretterez pas.
Oddair Namihei
Référence :
1Q84, tome 1 & tome 2 de Murakami Haruki, trad. par Hélène Morita, éd. Belfond, 23 € le tome. www.belfond.fr