Matsuo Kuninosuke, rédacteur en chef de France-Japon A la tête de plusieurs publications, Matsuo Kuninosuke joua un rôle clé dans la diffusion de la culture japonaise. Les échanges culturels ne sont possibles que grâce à des personnes curieuses qui n’ont pas peur de se confronter à “l’autre” et qui sont désireuses de franchir les frontières géographiques et culturelles. A cet égard, il est impossible d’examiner les interactions entre le Japon et la France sans mentionner Matsuo Kuninosuke (1899-1975), journaliste, critique et traducteur qui a vécu en France entre 1922 et 1940.Il est né dans une riche famille de marchands de kimonos à Hamamatsu, dans la préfecture de Shizuoka. Après avoir étudié la littérature française dans une école de langues étrangères, il devint travailleur temporaire au ministère des Communications et, à l’automne 1922, avec le consentement réticent de son père, il se rendit en France où, un an plus tard, il fut diplômé de l’École supérieure des sciences sociales de l’Université de Paris.“1922 est une année importante dans l’histoire des relations franco-japonaises”, explique KanekoMitsuko, professeur émérite à l’université du Sacré-Cœur de Tôkyô, spécialiste de la littérature et de la poésie comparées et auteur notamment de Furansu nijusseiki shi to haiku : Japonisumu kara zen’ei e [La Poésie française au XXe siècle et le Haïku : du Japonisme à la Poésie d’avant-garde, éd. Heibonsha]. “Au XIXe siècle, l’artisanat, les œuvres d’art et les estampes japonaises ont été présentés lors de nombreuses expositions dans le monde entier, et ce que l’on appelle le Japonisme s’est établi en Occident et a influencé de nombreux artistes. Cependant, en 1922, après la sanglante Première Guerre mondiale, ce phénomène s’est calmé. Parallèlement, sous l’influence des philosophes Claude Maitre et Paul-Louis Couchoud, qui avaient visité le Japon au début du siècle et étaient tombés amoureux du haïku, cette forme poétique s’est progressivement diffusée au sein des cercles littéraires locaux. Ainsi, lorsque le bateau sur lequel Matsuo avait quitté Yokohama atteignit enfin Marseille, la France connaissait un véritable engouement pour le haïku”, poursuit-elle.Bien entendu, la fascination culturelle a joué dans les deux sens. Après le premier conflit mondial, les intellectuels japonais ont commencé à se nourrir spirituellement de l’art et surtout de la littérature française et, à partir des années 1920, la France a progressivement pris la place de l’Allemagne dans le cœur des Japonais. De nombreuses œuvres de la littérature française ont été traduites en japonais, notamment celles d’André Gide, de Mallarmé et de Paul Valéry (voir Zoom Japon n°129, avril 2023).La description que fait Matsuo de son séjour à Marseille reflète bien son attitude face à un monde nouveau, si différent du Japon, qui le fascinait et l’intimidait tout autant. En se promenant dans la ville, il est impressionné par la présence imposante de Notre-Dame de la Garde, l’église blanche massive construite sur un affleurement calcaire de 149 mètres de haut, le point culminant de Marseille. Le clocher de l’église s’élève à 60 mètres et est surmonté d’une statue de la Vierge à l’Enfant de 11 mètres de haut, en cuivre doré à la feuille d’or, que l’on peut voir de n’importe où. Il écrit que bien qu’il soit très ouvert aux différentes cultures, il devient extrêmement anxieux lorsqu’il voit de ses propres yeux des exemples aussi majestueux de l’architecture européenne.“En même temps, il est frappé par les femmes vêtues de noir qui portent le deuil et qui ont perdu leurs maris et leurs pères à la guerre”, note Kaneko Mitsuko. “Cette scène triste est contrastée par leur beauté – leurs ‘yeux brillants, leurs corps bien proportionnés, leur peau blanche et leurs seins rebondis’. Cette première rencontre avec un monde complètement différent et les expériences suivantes suffisent à le convaincre que, bien qu’il soit né au Japon et qu’il aime son pays, il pourrait tout aussi bien laisser tout derrière lui et s’installer définitivement en France, où il pense pouvoir mener une vie confortable, libérée des obligations sociales qui pèsent sur lui dans son pays d’origine. On voit ici que Matsuo non seulement n’a pas peur de se confronter à des cultures si différentes de la sienne, mais qu’il se réjouit de relever le défi. Cette attitude le distingue immédiatement de ses compatriotes japonais expatriés qui, même s’ils vivent à l’étranger, n’ont que rarement des contacts avec des Français et préfèrent rester dans les limites étroites et sûres de leur communauté. A cet égard, il est une exception notable : c’est une personne curieuse qui a hâte de rencontrer les habitants et de se mêler à eux. De plus, son soi-disant activisme n’était pas basé sur une quelconque logique, réflexion ou plan préétabli. Il s’est simplement jeté dans la mêlée, presque sans réfléchir. C’est pourquoi il s’est fait tant d’amis et a fini par passer près de 20 ans en France”.Pendant le séjour de Matsuo à Paris, la fortune de sa famille a décliné et les envois de fonds ont cessé, ce qui l’a amené à accepter un certain nombre d’emplois. À la même époque, en 1924, il se lie d’amitié avec le judoka et essayiste Ishiguro Keishichi, qui était en pleine tournée pour populariser le judo à l’étranger et avait enseigné aux forces militaires et policières dans de nombreux pays, dont la France, l’Angleterre, la Turquie et l’Égypte. Un an plus tard, Matsuo aide Ishiguro à lancer un journal en japonais appelé Pari Shûhô [L’hebdo de Paris].Grâce à son implication accrue dans la communauté japonaise locale et à ses nouvelles relations, il est nommé secrétaire de l’Association japonaise de Paris. L’un des membres les plus connus de la communauté japonaise expatriée est Nakanishi Akimasa, fils d’un riche propriétaire de la préfecture de Mie, qui vit en Europe depuis 1913. En 1926, celui-ci met son argent à profit en finançant la Revue franco-nipponne, une revue d’art qui vise à faire connaître la littérature, la peinture et le théâtre japonais au public français et à développer les relations intellectuelles...