Réservé à un public averti, ce beau livre nous entraîne dans un Japon où il n’existait pas de tabous en matière sexuelle.
Les peintures et estampes érotiques japonaises, dites “images du printemps” (shunga), jouent un rôle important et complexe dans le contexte artistique du pays, alors qu’en Occident, cette forme d’art a souvent été perçue comme une expression du péché, voire de déchéance morale”, rappelle, dans son introduction, Gian Carlo Calza. Ce professeur d’histoire de l’art de l’Extrême-Orient à l’université Ca’Foscari de Venise, déjà auteur de la très remarquée monographie Hokusai, sait de quoi il parle et entraîne le lecteur dans un voyage pour le moins inattendu, vers un Japon sans tabous. S’appuyant sur les œuvres des plus grands artistes nippons de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle, il témoigne de la pratique sexuelle dans l’archipel. Mais, comme il le précise, “dans l’art japonais, l’acte sexuel n’est presque jamais représenté dans une situation ordinaire. Il se déroule plutôt dans des situations transgressives : rencontres clandestines, moment furtif d’intimité capté durant une promenade, amant qui s’insinue pendant le sommeil de son conjoint légitime”. Bref, à la manière de l’artiste, le lecteur se retrouve en position de voyeur face à ces moments d’intimité volés.
Au-delà même de ces scènes érotiques, on découvre dans la plupart des œuvres présentées dans cet ouvrage un souci du détail au niveau des vêtements et de l’ameublement, car souvent ces images servaient de publicité aux couturiers et artisans de l’époque qui montraient ainsi leurs créations à un public composé de personnes ayant les moyens de se les offrir. Le développement des villes comme Osaka et Edo devenues les poumons de l’économie japonaise s’est accompagné de l’épanouissement d’une culture populaire très riche et de la montée en puissance des quartiers de plaisir, sources d’inspiration des artistes. Les estampes, dont le procédé de reproduction permettait un tirage important, étaient souvent utilisées comme support publicitaire pour les spectacles du moment. Les images que l’on retrouve dans le recueil supervisé par Gian Carlo Calza “constituent un cas particulier. Produites en moins grand nombre, elles faisaient souvent l’objet de commandes spécifiques, surtout dans le cas des peintures”, note-t-il. Elles caractérisent tout de même l’état d’esprit et le raffinement qui régnait à l’époque malgré la crudité de l’acte sexuel. Tout cela disparaîtra avec “le nivellement par le bas des modes et des mœurs”. C’est pourquoi on aurait tort de ne pas profiter de ce très bel ouvrage qui se distingue à la fois par la qualité du travail de présentation des artistes et de leurs œuvres, mais aussi par celle de la reproduction. Le soin apporté par Phaidon est une nouvelle fois à saluer.
Odaira Namihei
Référence :
Poème de l’oreiller et autres récits de Gian Carlo Calza, éd. Phaidon, 29 €
www.phaidon.com