Le réalisateur du Voyage vers Agartha signe son grand retour avec The Garden of Words. Un chef-d’œuvre d’une grande subtilité.
Il nous avait enchantés avec La Tour au-delà des nuages (Kumo no mukō, yakusoku no bashō), touchés avec 5cm par seconde (Byôsoku 5 centimeter) et intrigués avec Le Voyage vers Agartha (Hoshi o Ou Kodomo), Shinkai Makoto revient avec The Garden of Words (Kotonoha no Niwa), un film bouleversant qui aborde le thème de la maturité chez les individus.
Qu’est-ce qui vous a motivé pour réaliser ce film ?
Shinkai Makoto : D’abord, je voulais faire un film sur la pluie. Je connaissais aussi un parc que je fréquentais où se trouve l’abri du film. Ce sont ces deux éléments qui m’ont donné envie de faire ce film.
The Garden of Words tranche avec Le Voyage vers Agartha. Avez-vous voulu revenir aux sources en le réalisant ?
S. M. : Après Le Voyage vers Agartha, j’avais trois projets en tête. Le premier était destiné au jeune public, le second était une œuvre de science-fiction et le troisième était une œuvre dont l’univers était proche de mon film 5cm par seconde parce que je sais qu’un grand nombre de mes fans l’apprécie tout particulièrement. J’ai donc soumis ces trois idées à mon producteur et en définitive, c’est lui qui a choisi la dernière proposition, à savoir The Garden of Words. Cela dit, je n’ai pas voulu le réaliser pour me démarquer du Voyage vers Agartha. J’ai tout simplement réfléchi à ce que j’avais envie de faire. Je n’avais pas l’intention du moins consciemment de revenir aux sources. Chaque fois que je réalise une œuvre, il est vrai que je me pose de nombreuses questions sur ce que je viens de faire. Ça m’arrive après chacune de mes réalisations que ce soit Le Voyage vers Agartha ou 5cm par seconde. Si je n’avais pas réalisé 5cm par seconde, je n’aurais pas pu faire Le Voyage vers Agartha non plus. En ce sens, je m’intéresse davantage aux progrès que je fais au niveau du dessin, du scénario. Et comme à chaque fois, je progresse, je me sens capable de passer à autre chose. Je n’ai donc pas réagi aux critiques de ceux qui estimaient que Le Voyage vers Agartha ne me correspondait pas. J’ai, au contraire, profité des techniques acquises pendant la réalisation de ce film pour me lancer dans le projet de The Garden of Words. Et avec lui, mon ambition était de les améliorer pour qu’elles me servent à l’avenir pour d’autres films. Précédemment, je vous ai dit qu’après Le Voyage vers Agartha, j’avais trois projets dont un pour les enfants. Celui-ci est un film à la Miyazaki. Je ne rejette vraiment pas ce style et j’ai très envie de l’explorer.
La durée de The Garden of Words est plutôt courte, ce qui n’est pas courant de nos jours pour un film d’animation. Etait-ce prévu dès le départ ?
S. M. : Dès le lancement du projet, je pensais en effet à réaliser un moyen métrage pour ce film-là. L’histoire se déroule sur une courte période de 3-4 mois entre le début de la saison des pluies et la fin de l’été. A mes yeux, un moyen métrage permettrait de traiter de façon satisfaisante cette rencontre entre un lycéen et une femme plus âgée. En revanche, c’est sur le plan commercial que la durée posait problème. Au cinéma, il est quasi impossible de diffuser un film de 46 minutes et mes producteurs en avaient aussi conscience. Néanmoins, il était intéressant de relever ce défi et de convaincre des salles de le projeter. Je ne voulais pas faire un film de 90 minutes pour répondre à l’exigence de la distribution. Nous avons donc réfléchi à mettre sur pied différentes stratégies pour arriver à distribuer le film en salles. Finalement, nous sommes arrivés à l’idée d’une sortie simultanée en salles et en DVD ou Blu-Ray, tout en autorisant la location du film dans les vidéo-clubs et la diffusion en VOD. Il fallait que la qualité du film soit parfaite pour inciter tous ceux qui avaient acheté le film en DVD à se rendre au cinéma pour le voir sur grand écran. A priori, ça a été le cas puisque les ventes de The Garden of Words ont été bonnes comme le nombre des entrées. Nous avons ainsi vu des gens qui avaient d’abord acheté le DVD venir en salles pour le revoir et d’autres qui l’avaient apprécié au cinéma se le procurer tout de suite en DVD pour le visionner de nouveau chez eux.
Vous avez trouvé la solution miracle pour sauver le cinéma japonais…
S. M. : Non, non. (Rires) Mais je crois qu’à l’avenir un nombre croissant de films d’animation seront distribués de cette manière. Nous avons en tout cas fait la preuve que notre stratégie était efficace.
Vous parliez de l’importance de la qualité tout à l’heure. Votre film est tellement bien réalisé que l’on se demande à certains moments si vous n’avez pas été tenté de tourner en prises de vue réelles. Y avez-vous songé ?
S. M. : Je pense que je ne suis pas fait pour réaliser des films en prises de vue réelles. Il m’arrive même qu’on me fasse des offres dans ce sens, mais au fond de moi, je sais que je ne suis pas fait pour cela. C’est vrai que mes films sont très réalistes, mais en même temps, tous les personnages sont dessinés à la main. Dans le cinéma en prises en vue réelles, le film appartient à la fois au réalisateur et aux acteurs. C’est pour cette raison que le casting est extrêmement important. Moi, je préfère travailler derrière un bureau et je ne me vois pas diriger des acteurs avec un haut-parleur sur un plateau. Cela ne veut pas dire pour autant que je n’aime pas diriger des acteurs. Je le fais lors de l’enregistrement des voix. C’est d’ailleurs un point très important pour moi. Chez un être humain, c’est la voix qui m’intéresse le plus. En somme, je peux dire que je suis vraiment fait pour réaliser des films d’animation.
Quelle thématique avez-vous cherché à aborder dans The Garden of Words ?
S. M. : Dans ce film, j’ai voulu explorer la question de la maturité. Moi-même, j’ai 40 ans, mais j’ai encore un côté un peu enfantin et je me demande toujours ce que cela veut dire d’être adulte ou d’être mûr. Je pense que ce sujet intéresse le public amateur de films d’animation et c’est pour ça que j’ai décidé de mettre en scène deux personnages. Le premier est une femme de 27 ans qui est adulte, mais qui n’arrive pas à l’être. Et le second, c’est un adolescent qui veut le devenir. L’adulte qui ne parvient pas à s’assumer en tant que telle rencontre pas mal de problèmes. C’est le cas de Yukino. Elle ne peut même plus aller à son travail.
Qu’en est-il pour l’adolescent Takao ?
S. M. : En ce qui concerne Takao, je voulais qu’il ait un véritable but dans la vie. J’ai choisi l’artisanat parce que cela demande un gros investissement personnel et que cela exige une certaine maturité pour y parvenir. Le choix du métier de cordonnier s’est imposé à moi parce que c’est visuellement intéressant. Par ailleurs, c’est une profession utile qui aide les autres à marcher. A partir de là, j’ai fait des recherches sur ce métier et j’ai rencontré plusieurs cordonniers, ce qui m’a permis de mieux saisir leur univers. En découvrant qu’ils travaillent avec le pied nu, j’ai pris conscience de la dimension fétichiste et érotique du pied. Cela convenait parfaitement à l’histoire de ce rapport entre un adolescent et une femme plus âgée. A partir de là, j’ai volontairement mis en place des scènes assez érotiques dans le story board.
Propos recueillis par Gabriel Bernard
Référence :
The Garden of Words de Shinkai Makoto. Kazé.
DVD 19,95 €. Blu-Ray 24,95 €. Edition collector 29,95€.