Mais le Shinshô-ji permet surtout de pratiquer un zazen authentique, ou méditation assise, qui fournit le goût ultime du zen. Depuis le Shôdô (salle de pin), le centre administratif et d’informations du temple, un guide vous mène à travers le magnifique jardin de l’esprit contemplatif, où des carpes koi se prélassent dans le lac dont la forme rappelle le caractère chinois de l’esprit et qui est bordé d’un côté par des érables et de l’autre par des cerisiers. En empruntant le gracieux pont en bois qui surplombe le lac, on arrive au Centre international d’entraînement zen où un moine, le crâne rasé et vêtu d’une tunique bleue Hiroshige, attend les élèves. Après avoir ôté ses chaussures et ses chaussettes pour enfiler des sandales en bois, on est invité à s’incliner et à entrer dans la salle, les mains jointes en signe de gratitude. À l’intérieur du hall en bois sombre, on remarque plusieurs plates-formes basses couvertes de tatamis. Sur chacun d’entre eux des futons épais ont été pliés en trois, de telle manière que la partie arrière est plus haute que celle de devant. Le prêtre montre ensuite comment s’installer. Tout semble un peu effrayant, mais en fait l’arrangement du matelas le rend non seulement beaucoup plus confortable qu’on peut l’imaginer, mais il est aussi étonnamment facile de s’asseoir en ayant le dos complètement droit.
« Gardez les yeux à moitié ouverts pour ne pas vous endormir », lance le moine. « Fixez votre regard à un point situé à environ 1,5 mètre devant vous. Si vous sentez approcher l’assoupissement, et que vous souhaitez que je vous éveille avec le keisaku, serrez vos mains et présentez-les au niveau de votre poitrine », ajoute-t-il. Son keisaku est un morceau de bois intimidant, plat comme une pagaie de canot. “Ne le considérez pas comme une punition”, tente-t-il de rassurer. “C’est simplement pour vous aider à rester concentré.” Il allume ensuite un bâton d’encens, frappe une petite cloche quatre fois pour marquer le début de la séance de méditation. Il ne reste plus qu’à se concentrer sur sa respiration, comme cela a été expliqué. Le silence envahit la salle, rompu de temps en temps seulement par le chant des oiseaux qui virevoltent autour des arbres à l’extérieur. Dans ce calme, on finit par prendre conscience d’un monde de sensations : la brise de montagne, qui souffle à travers les fenêtres ouvertes et qui caresse la peau, le parfum du bois nu et de l’encens, le ronronnement doux d’un avion au loin. Les yeux à demi fermés, on aperçoit le prêtre marchant avec une lenteur paresseuse, levant un pied, puis attendant quelques secondes avant de le reposer et de soulever l’autre, son grand keisaku à la main.
Les quinze premières minutes passent sans que personne ne ressente le besoin de demander un réveil. Ensuite, lorsqu’on commence à se sentir un peu agité, le moine frappe la cloche et annonce qu’il est temps de faire une courte pause. “Changez de position si vos jambes sont raides”, conseille-t-il. Cinq minutes plus tard, il frappe la cloche à nouveau pour commencer la deuxième session. Le son de la cloche résonne dans le silence comme les ondulations de l’eau à la surface d’un étang. Cette fois, une jeune femme courageuse présente rapidement ses mains en supplication. Les yeux mi-clos, on observe le prêtre s’approcher lentement d’elle. Il s’arrête devant elle. Ils se saluent. Il tient son keisaku horizontalement devant elle, comme s’il le présentait pour une inspection. Elle s’incline profondément. Il appuie doucement le dos vers le bas jusqu’à ce qu’il soit complètement droit. Tout le monde a cessé de méditer, incapable de résister à la curiosité de savoir comment le rituel se déroule.
Clac ! Clac ! Clac ! Clac ! Le moine donne quatre coups secs sur le dos de la femme, deux de chaque côté de sa colonne vertébrale, provoquant chez les autres participants une réaction de compassion. Pourtant, ce traitement est loin de les effrayer. Les autres membres du groupe ne tardent pas à se sentir bien et à présenter leurs mains pour connaître à leur tour la sensation d’éveil provoquée par le keisaku. Personne n’a quitté la séance sans l’avoir goûté. D’une certaine façon, l’expérience ne serait pas satisfaisante s’il en était autrement. C’est un peu comme si on allait dans un onsen sans se tremper dans le bain d’eau chaude. Et si, sur le moment, cela provoque une sorte de picotement, cela s’avère en réalité assez vivifiant, un peu comme un bon massage. La seconde séance dure environ vingt-cinq minutes, assez longtemps pour que l’on sente que son esprit se vide de tout son bavardage habituel et que l’on se concentre sur l’inspiration et l’expiration au niveau de la poitrine à chaque respiration. On commence alors à entrevoir l’instant présent qui n’est pas interrompu par la pensée.
La cloche retentit. Elle signale la fin de la session. Le message de clôture du moine est simple : “Chaque jour, au milieu de vos horaires chargés, assurez-vous de trouver un peu de temps à vous consacrer. Même cinq minutes. Même une minute. Trouver du temps pour vous-même”, lâche-t-il. Il ferme ensuite les volets. Les participants s’inclinent en sortant de la salle, et remettent leurs chaussures. Tout est fini. En sortant, on a l’impression de flotter dans les jardins baignés par le soleil de l’après-midi. Dans un état d’une rare exaltation, on se sent vivant et alerte.
Le moine a raison. Combien de fois prenons-nous le temps de rester assis en silence sans vérifier son courrier électronique ou se préoccuper de toutes les choses que, l’on doit faire ? Sans même bouger un muscle ? D’ici 2040, quelque 27 000 temples du Japon devraient fermer, car l’exode vers les grandes villes prive de fidèles les temples dans les campagnes. Espérons que des initiatives telles que celles de Shinshô-ji aideront non seulement à maintenir plus de temples ouverts, mais aussi à permettre à plus de personnes d’apprécier les avantages du zazen.
S. J. P.
Infos pratiques
Pour s’y rendre, il suffit d’emprunter le shinkansen au départ de Hiroshima, d’Ôsaka ou de Tôkyô jusqu’à la gare de Fukuyama. Prenez ensuite un bus de la compagnie Tomotetsu en direction de Miroku no sato. Le temple se trouve à une quinzaine de minutes de l’arrêt Tenjin yama.
91,Kamisanna, Numakuma-chô, Fukuyama-shi, Hiroshima-ken 720-0401 Tél. 084-988-1111