Les dirigeants du journal ont accompagné leur choix par la création d’une “seconde” édition du matin ou plutôt d’un journal complémentaire qu’ils ont baptisé “Select”. “Notre idée était de fournir aux lecteurs deux sortes de contenus. Dans l’édition du jour, les nouvelles comme on les traite d’ordinaire et dans Select, des articles plus longs et davantage portés sur l’analyse et la réflexion liées à l’actualité”, explique Egusa Noritaka. Lancé le 1er mai 2015, les 16 pages de Select ont déjà conquis plus de 25 000 lecteurs. “Il y a encore du chemin à faire pour en gagner d’autres, mais nous sommes persuadés que cette initiative peut aider à redonner le goût de la presse écrite”, ajoute-t-il. Cette déclaration d’amour pour le papier explique pourquoi le Chûgoku Shimbun n’a pas beaucoup investi dans le numérique. Certes le quotidien dispose d’un site Internet, mais il propose un contenu très limité en accès gratuit. “Je ne suis pas convaincu par le fait qu’une personne pouvant s’intéresser de temps en temps à un article que nous avons publié en ligne finisse par acheter un exemplaire du journal. Je préfère réfléchir à trouver le contenu susceptible d’intéresser les lecteurs et de les amener à acheter notre journal. C’est ça le véritable enjeu pour nous”, assure le rédacteur en chef du quotidien de Hiroshima. “Nous voulons développer notre lectorat. Le succès des Carp et l’engouement qu’il a suscité nous ont conduits à renforcer le service des sports, car le public attendait une plus grande couverture de l’équipe. Mais cela ne veut pas dire que nous allons faire que ça. Nous entendons profiter de cet intérêt pour publier des articles sur d’autres sujets qui, nous l’espérons, attireront le regard de ces fans et les conduiront à nous lire pour d’autres raisons que les nouvelles concernant les Carp”.
Le sport reste néanmoins un point fort pour le quotidien. Il faut dire que la région est gâtée dans la mesure où plusieurs équipes brillent dans différentes disciplines. En dehors du base-ball, le football est à l’honneur avec Sanfrecce Hiroshima, le volley-ball avec les JT Thunders, le basket avec les Dragonflies ou encore le hockey féminin avec les Red Sparks. “C’est un atout que nous avons par rapport à d’autres régions et notre journal en profite”, reconnaît Egusa Noritaka. Mais ce qui distingue le plus le Chûgoku Shimbun de tous les autres quotidiens, c’est son implication dans le traitement des questions liées à la paix et aux armements nucléaires. “Cela fait partie de notre mission”, explique le patron de la rédaction. “Nous sommes conscients du fait que certains lecteurs peuvent se lasser de ce sujet notamment lorsque nous décidons de le mettre en première page, mais il est essentiel à nos yeux d’entretenir la mémoire. Nous continuons à publier des témoignages des hibakusha (personnes irradiées) même si ces derniers sont de moins en moins nombreux. Nous nous adressons aussi aux plus jeunes pour qu’ils racontent leur vision de cette question pour éviter à tout prix l’oubli”, poursuit-il. L’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi a relancé l’intérêt porté aux problèmes nucléaires.
Du fait de son expérience, le Chûgoku Shimbun a abordé la question avec rigueur et a cherché à apporter des éclairages différents au milieu du bruit médiatique que cet événement a pu susciter. Le thème relatif aux effets des radiations est un point important pour le journal dans la mesure où Hiroshima a été la première ville victime du nucléaire à la fois dans une dimension physique (conséquences sur la santé des personnes irradiées) et dans une dimension morale (discriminations). Aussi le quotidien a-t-il exploré différents terrains pour les aborder et apporter des réponses plus claires à ses lecteurs. “En 2016, nous avons ainsi publié une série d’articles sur les conséquences des radiations même à des niveaux très bas. Pour cela, nous avons envoyé nos journalistes un peu partout dans le monde pour qu’ils rapportent des témoignages de personnes contaminées, des reportages dans des régions où des essais nucléaires ont été menés ou des interviews de scientifiques”, déclare Egusa Noritaka. Voilà pourquoi, le quotidien se montre très prudent, voire critique à l’égard de la politique du gouvernement favorable au redémarrage des centrales nucléaires. Il est en phase avec la majorité des Japonais hostiles à une relance du programme nucléaire.