Le wagashi était autrefois un complément naturel à tout événement traditionnel. Cependant, les choses ont beaucoup changé depuis que son grand-père a fondé la boutique originale d’Eitarô. “Il n’y a plus autant d’enfants qu’autrefois. Au Japon comme dans d’autres pays industrialisés, les familles nombreuses appartiennent au passé. Maintenant, on vous considère comme une grande famille si vous n’avez que deux enfants. Les conditions de vie ont également changé. Prenez par exemple la fête des filles (Hina matsuri), le 3 mars. Il fut un temps où les gens vivaient dans des maisons plus grandes et pouvaient consacrer une pièce entière de six tatamis aux poupées hina traditionnellement exposées à cette occasion. Aujourd’hui, l’exposition est beaucoup plus petite et nous ne recevons pas beaucoup de commandes”, regrette le pâtissier.
“Quand j’étais jeune, une dame riche pouvait recevoir des invités chez elle et organiser une somptueuse cérémonie du thé. C’était une pratique sociale établie qui a presque disparu de nos jours. En outre, plusieurs professeurs d’ikebana et de cérémonie du thé vivaient dans notre quartier et enseignaient à la maison. Chaque fois qu’ils organisaient un événement ou qu’ils recevaient des invités importants, ils commandaient des wagashi pour accompagner le thé vert. Maintenant, ils font la même chose dans des écoles, nous recevons donc encore des commandes de sucreries en fonction des saisons, mais ce n’est plus tout à fait comme avant. Enfin, dans les années 1940 et 1950, la plupart des gens ne mangeaient que des bonbons japonais. Mais aujourd’hui, les sucreries occidentales sont très populaires et l’offre semble infinie”, ajoute-t-il.
Eitarô fait des affaires à Asagaya depuis 62 ans, mais à l’origine, la boutique était située dans le centre de la capitale. “Nous étions établis à Hongô, dans l’arrondissement de Bunkyô, dans ce qui s’appelait autrefois Harukichô (aujourd’hui Hongô Sanchôme)”, raconte l’artisan. “Notre magasin était situé près de l’hôpital de l’université de Tôkyô. C’était un endroit assez petit, environ la moitié de la taille du magasin actuel, avec une vitrine et un coin café où nous servions des choses comme le shiruko (soupe sucrée aux haricots rouges). Mon père était un travailleur acharné et proposait toujours de nouveaux produits. Je me souviens qu’il faisait même des glaces et des bonbons, et qu’il proposait de la glace pilée en été. Nous étions dans une rue très fréquentée, donc nous avions beaucoup de clients. Vers le Nouvel An, j’aidais à faire des mochi (gâteaux de riz), à préparer des étalages et à livrer nos produits dans le quartier. C’était une petite entreprise familiale, donc tout le monde mettait la main à la pâte”.
Lorsque le grand-père de Sakamoto-san a décidé de s’installer ailleurs, son père l’a remplacé au magasin de Harukichô, et en 1958, il l’a transféré à Asagaya, dans la banlieue ouest. “A l’époque, Asagaya ressemblait à Nihonbashi et à d’autres quartiers typiques de shitamachi (la ville basse, plus populaire) du centre de Tôkyô. Le quartier au sud de la voie ferrée, où se trouve mon magasin, était déjà très animé avec des boutiques et des commerces, avec une forte concentration de fabricants de kimonos et d’autres magasins d’accessoires vendant des obi (ceintures), des tabi (chaussettes à bout fendu) et des geta (soques de bois)”, poursuit-il. “Asagaya a toujours eu un caractère assez raffiné, assez différent des gares voisines de la ligne Chûô comme Nakano ou Kôenji (voir Zoom Japon n°96, décembre 2019). Cette particularité a subsisté jusqu’à nos jours. Cependant, dans les années 1960 et 1970, Nakano Broadway et Sun Plaza ont été construits à Nakano, et à Kichijôji des grands magasins et des centres commerciaux à la mode ont fait leur apparition. Asagaya, en revanche, a perdu un peu plus de son attrait. Par exemple, il y avait autrefois quatre ou cinq cinémas autour de la gare, mais ils ont tous disparu. A cet égard, Asagaya a été progressivement éclipsé par des quartiers plus clinquants et plus branchés”, constate avec regret Sakamoto Masahide.