Quelques années après avoir déménagé la boutique, le père de Sakamoto a été victime d’un accident cérébral et son fils l’a remplacé au magasin. “Je n’avais que 18 ans à l’époque, mais depuis mon enfance, j’aimais jouer au confiseur tout en regardant mon père. Ma mère l’avait aussi aidé à la cuisine depuis le début, nous avons donc travaillé ensemble jusqu’à ce que je prenne confiance en moi. Nous avons trouvé de nouvelles idées et nous avons constamment fait évoluer notre approche de la confiserie. Mais maintenant, je suis trop vieux pour ces choses-là (rires)”.
Aujourd’hui encore, Eitaro demeure une affaire de famille impliquant Sakamoto, sa femme et son fils. “Parfois, même ma fille prend un jour de congé à son travail pour venir nous donner un coup de main à la vente. Lorsque nous sommes particulièrement occupés, comme pendant la fête Tanabata (fête des étoiles, le 7 juillet), nous demandons à un pâtissier du coin de nous aider car, en été, il est moins occupé. Après tout, c’est le genre de travail qui exige des compétences manuelles. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut apprendre en quelques jours, ou que l’on peut confier à un intérimaire inexpérimenté. Ce n’est pas comme faire des taiyaki (gâteau en forme de poisson) où il suffit d’apprendre à faire fonctionner la machine. Même le travail au comptoir présente des difficultés, car il faut savoir comment emballer les wagashi avec soin. Vous voyez, avec ces produits, tout doit être beau, y compris l’emballage”, assure le pâtissier.
La forme est ce qui distingue les wagashi des autres confiseries. C’est ce qui les rend particulièrement attrayants et ce qui, selon lui, rend son métier si intéressant. “Cela a aussi un inconvénient parce que vous ne pouvez pas vous répéter encore et encore. Vous devez toujours créer de nouvelles choses et ajouter de nouveaux goûts à votre répertoire parce que d’une génération à une autre les préférences évoluent. Les clients plus âgés peuvent être satisfaits des classiques, mais leurs enfants et petits-enfants veulent quelque chose de nouveau, surtout de nos jours dans la mesure où tout le monde est influencé par ce qu’il voit à la télévision et sur Internet.”
“Au Japon, la cuisine et la préparation des aliments sont traditionnellement liées aux quatre saisons, avec des goûts et des motifs qui se répètent au cours du cycle de l’année : fraises et cerises au printemps, châtaignes et patates douces à l’automne. Ensuite, vous avez le matcha (thé vert) qui est valable tout au long de l’année. Mais maintenant, tout le monde suit des modes toujours nouvelles, et le temps entre une tendance et la suivante semble de plus en plus court”, note l’artisan.
“Il y a quelque temps, quelqu’un a inventé le daifuku à la fraise. Jusqu’à ce moment-là, personne n’avait pensé à combiner anko et fraises, mais c’est devenu une sensation du jour au lendemain. Cela a ouvert les portes à un large éventail de combinaisons entre la pâte de haricots rouges et des fruits (bananes, kiwis, etc). Dans le même temps, le daifuku à la fraise a perdu sa valeur de nouveauté et il fait maintenant partie des classiques. C’est une bataille sans fin pour concevoir le prochain produit qui emportera l’adhésion des gourmands. Aujourd’hui, par exemple, vous avez le daifuku café au lait, une pâte de haricots rouges aromatisée au café et à la crème enveloppée dans un gâteau de riz. Même avec le dorayaki, que j’ai mentionné tout à l’heure, l’anko a récemment été remplacé par de la crème fraîche! Vous passez donc des heures à vous creuser les méninges pour inventer quelque chose que peut-être personne n’achètera”, note en riant Sakamoto Masahide.
“Ceci dit, les wagashi traditionnels auront toujours leurs amateurs. C’est comme un cycle : même ceux qui sont attirés par la nouveauté finissent par revenir aux goûts avec lesquels ils ont grandi”, conclut avec une certaine sagesse cet homme de 78 ans, affable et toujours prêt à vous entretenir de sa passion avec le sourire et une gentillesse inégalée.
Jean Derome