Haletantes, nous arrivons au bout pour trouver une pagode rouge vif assez laide puis enfin, quelques dénivelés plus haut, le sanctuaire, une bâtisse moyenâgeuse en bois construite par un ancien daimyô, seigneur, pour protéger son château des incendies. Le sanctuaire abrite en effet les divinités protectrices du feu dont une pierre sacrée dressée sur un rocher. Entourée d’une corde et couverte de mousses et de champignons, elle représente l’esprit de cette montagne où quelques pèlerins ont accroché des omikuji, des oracles écrits, pour leur apporter la chance. Sur l’autre versant, nous trouvons tapi sous un couvert végétal, un petit autel avec des bavoirs suspendus aux lattes de bois. “Le dieu du feu protège aussi les femmes enceintes et les bébés morts-nés” précise Haruka adepte des rites shintoïstes. Nous restons un moment assises sur un rocher pour admirer la vue sur la vallée cernée de montagnes. Des faucons dansent dans le bleu limpide du ciel, puis disparaissent vers les cimes des montagnes.
Intégré au Chichibu-Tama-Kai, le plus grand parc national de la préfecture de Tôkyô, Okutama est surplombé par les monts Hinode et Mitake, qui culminent à 1 266 m, tous deux accessibles par ce sentier de randonnées. Nous préférons redescendre par le Tôkei Trail qui sillonne à travers des hameaux de maisons japonaises aux balcons inondés de soleil où sèchent des obi (ceintures), et des tenues de paysans. Nous longeons des jardins potagers et des greniers à riz puis entrons à nouveau dans la forêt, au milieu des colonnes de cèdres qui forment une voûte vivante. On ne se lasse pas de regarder leurs troncs s’étirer vers le ciel et d’écouter les feuilles dorées tomber dans un léger bruissement. Appelés à juste titre Mukashi no Michi ou routes d’autrefois, ces sentiers étroits et impraticables en voiture gardent tout le charme de la vie en cohabitation avec la montagne.
Aujourd’hui, seules quelque 5 000 personnes habitent cette commune, la plus grande de Tôkyô en superficie et la moins densément peuplée. A tel point que la municipalité a dû mettre en vente presque gratuitement des maisons et des parcelles pour repeupler et redynamiser la ville. Un mal pour un bien puisque qu’à 50 km en aval de la rivière Tama, des milliers d’hectares de forêt ont été rasés pour construire la Tama new town, le plus grand projet résidentiel de la capitale. Cette gigantesque cité construite au milieu des années 1960, en plein essor post-Jeux olympiques de 1964, a détruit l’écosysteme et la faune comme le raconte le célèbre dessin animé Pompoko (Heisei tanuki gassen Ponpoko, 1994) réalisé par Takahata Isao. Sur le chemin du retour, nous évoquons avec plaisir ce conte philosophique, produit par le mythique studio Ghibli, dont les héros ne sont autres que les tanuki ! Ces ratons laveurs japonais pour se venger du miracle économique qui avait détruit leur habitat ont alors inventé tous les stratagèmes pour faire avorter la construction, n’hésitant pas à utiliser leur scrotum géant en guise de parachute pour aller bombarder le chantier ! A présent peuplée de 200 000 habitants, la Tama new town souffre de sa surpopulation et de sa dépendance à l’égard de Tôkyô, comme beaucoup de villes-banlieues construites en bordure de la rivière Tama, longue de 138 km. Okutama, qui signifie le “Tama profond”, porte décidément bien son nom. Epargné par la déforestation massive après le déclin du commerce du bois dans les années 1990, sa population de 13 000 âmes a diminué de moitié. Mais cette faible densité humaine a probablement permis de préserver une nature unique et pleine de magie aux portes de la mégalopole.
Alissa Descotes-Toyosaki
informations pratiques
POUR S’Y RENDRE, il faut emprunter la ligne
JR Chûô au départ des gares de Tôkyô ou de Shinjuku jusqu’à Tachikawa. Changer alors pour la ligne JR Ôme jusqu’à Okutama.
En dehors des lieux évoqués dans l’article, vous pouvez également visiter le verger à pruniers de Yoshino (15 minutes de la gare de Hinatawada) ou encore le parc des chemins
de fer d’Ôme (10 minutes de la gare d’Ôme).