Pas toujours autorisés à posséder chez eux un animal de compagnie, les Japonais ont trouvé la bonne parade.
Parmi les mauvais côtés de la vie urbaine moderne dans des villes comme Tôkyô et Ôsaka figurent un sens aigu de l’aliénation et de l’isolement. Dans un pays où un nombre croissant de personnes décide de ne pas se marier, de ne pas avoir d’enfants, les célibataires et les couples choisissent de consacrer leur temps, leur énergie et leur argent aux animaux de compagnie. Mais que faire quand les bêtes ne sont pas autorisées ? Dans la plupart des appartements de location, les animaux sont interdits parce qu’ils pourraient déranger les voisins. Heureusement, depuis une dizaine d’années, les personnes seules et/ou stressées ont trouvé une solution en se rendant dans les cafés à chats.
Bien que le premier établissement de ce type ait été créé à Taipei, sur l’île de Taïwan, en 1998, le concept a vraiment pris racine au Japon où, depuis 2005, on ne compte plus les créations dans tout l’archipel. Entre 2005 et 2010, 79 ont ouvert leurs portes et on estime aujourd’hui leur nombre à environ 150.
Le café à chats typique est un appartement ou une boutique où les chats apportent aux clients une compagnie relaxante qu’ils ne peuvent pas trouver ailleurs. Malgré leur dénomination, ces établissements proposent rarement des boissons et de la nourriture. Il s’agit plutôt d’une forme de location d’animaux de compagnie. On y trouve entre 15 et 25 chats de différentes tailles et de races variées. Certains cafés en ont une cinquantaine. Lorsque vous vous présentez, on vous remet une “carte” (souvent bilingue) comportant des informations sur les résidents avec leur photo, leur nom, leur date de naissance et quelques traits de caractère. Puisque nous sommes au Japon, les établissements sont très propres et les chats sont extrêmement bien traités. C’est d’autant plus nécessaire que la licence ne s’obtient pas facilement compte tenu des règles très strictes définies par la loi sur la protection et le traitement des animaux. Dans certains cas très rares, les chats n’ont pas l’air contents. C’est pourquoi certaines associations de défense des animaux ont engagé des actions pour protester contre les “heures de travail” jugées parfois trop longues. Si les boutiques d’animaux n’ont pas l’autorisation de les présenter après 20h, les cafés ont quant à eux le droit de rester ouverts jusqu’à 22h, car la plupart de leurs clients viennent le soir, sans doute après une journée de travail stressante.
Certains établissements se sont spécialisés dans certains types de chats comme les chats noirs ou les chats de race. Une exception notable parmi ces lieux est la chaîne Neco Republic qui s’est spécialisée dans le soin donné aux chats errants. De toute évidence, le Japon a un problème avec les chats errants et la plupart de ceux qui finissent dans des fourrières sont éliminés. Neco Republic travaille avec un réseau de bénévoles pour récolter des fonds et informer la population de ce problème. Son but est de pouvoir trouver un toit pour tous ces chats. Les deux premières succursales de Neco Republic ont ouvert l’année dernière à Gifu et à Ôsaka, réussissant à placer quelque 140 chats. Un troisième établissement de la chaîne vient d’être implanté à Tôkyô.
Pour vous donner une idée plus précise de ce qui se passe dans un café à chats, l’équipe de Zoom Japon s’est rendue au Nyafe Melange, un lieu agréable situé à Ebisu. Ouvert depuis 2009, il s’agit de l’un des plus anciens du Japon. Sa grande salle de jeu ne manque pas d’attrait et de chaleur. A première vue, elle ressemble à une pièce ordinaire avec bibliothèques, canapés et tables basses, mais on y trouve une douzaine d’étagères et de tabourets sur lesquels les 22 chats résidents peuvent confortablement s’asseoir et présider au fonctionnement du lieu. Il n’est pas obligatoire de commander des boissons, mais vous pouvez avoir un café ou thé si vous le souhaitez. Le jour de notre visite, l’atmosphère était particulièrement calme avec les chats paressant dans la pièce, dormant ou faisant leur toilette.
La clientèle se composait d’une douzaine de personnes. Âgées entre 20 et 30 ans, elles travaillent toutes dans le quartier. Le week-end, les clients sont principalement des couples. Les touristes étrangers sont aussi de plus en plus nombreux. Chacun se comporte avec les chats comme il l’entend. Une jeune femme se promène dans la pièce avec un bâton dans l’espoir qu’un matou cherche à l’attraper. Un couple, assis sur un canapé, discute tout en caressant un chat sur leurs genoux. Une autre femme, accroupie, observe les chats autour d’elle. Selon Akimoto Yumi, la patronne du lieu, les clients restent en moyenne 90 minutes. “C’est intéressant de voir comment les gens se comportent avec les chats. La plupart d’entre eux passent leur temps à prendre des photos ou à les dessiner. Les nouveaux venus se montrent souvent surpris par la situation et restent là à observer”, note-t-elle. La principale raison de cette attitude vient du fait qu’ils n’ont jamais eu de chat et n’en ont probablement jamais touché avant. Ils ne savent pas comment se comporter face à un animal aussi imprévisible. “Bon nombre de clients se montrent timides. Aussi ceux qui viennent pour la première fois n’osent pas aller vers les chats pour jouer avec eux. Ils préfèrent lire et siroter un café avec l’espoir secret qu’un des résidents à quatre pattes s’intéresse à eux”, explique Akimoto Yumi.
D’après un membre du personnel, ceux qui viennent en groupe se montrent beaucoup plus chaleureux et bavardent beaucoup. “Pour eux, le chat est un bonus et sans doute que la façon nonchalante dont ils abordent leur relation avec l’animal contribue à leur succès auprès de lui”. Les chats sont plus attirés par ces gens qui ne cherchent pas attirer forcément leur attention. Par ailleurs, les cafés à chats constituent un excellent lieu de rendez-vous pour les couples. “Beaucoup de couples qui viennent ici semblent être dans la première phase de leur relation amoureuse. Ils utilisent les chats pour réduire les différences qui peuvent encore subsister entre eux”, confie une autre employée.
Evoquant les raisons pour lesquelles les cafés à chats ont beaucoup de succès dans l’archipel, Akimoto Yumi met en évidence plusieurs choses que les médias mentionnent rarement. “Tout d’abord, les Japonais sont extrêmement timides dès qu’ils sont en dehors du cercle de leur famille ou de leurs amis. Aussi la communication tactile et sans parole avec les chats constitue une source de réconfort. Et puis, il ne s’agit pas que d’une relation avec des animaux. Ce genre de lieu offre une sorte d’oasis de calme et de paix dans une ville aussi dense que Tôkyô. Quand vous songez à tout ce que ces individus doivent endurer pour se rendre chaque jour à leur travail, vous comprenez facilement pourquoi ils sont si nombreux à venir dans ce genre d’établissement”, assure-t-elle. Apparemment certains clients n’hésitent pas à se faire porter malade pour passer une journée entière dans ce type de café, car ils ont besoin de décompresser. “Je suis heureuse que nos chats procurent une tranquillité d’âme à ce genre de personnes”, ajoute-t-elle simplement.
Jean Derome