L’ancien rédacteur en chef de Garo a bien connu Mizuki Shigeru. Il raconte les premières années du mangaka. Takano Shinzo Ancien Rédacteur en chef du magazine Garo. Dans sa librairie, Meguro-ku, Tokyo Peu de gens ont eu la chance de connaître certains des grands noms du manga aussi intimement que Takano Shinzô (voir Zoom Japon n°87, février 2019). L’ancien rédacteur en chef du magazine Garo (voir Zoom Japon n°43, septembre 2014) et membre fondateur du Groupe d’étude des kashihon manga(mangas de location) a rencontré MizukiShigeru pour la première fois alors qu’il était encore un artiste en difficulté. Takano Shinzô évoque cette époque et le rôle joué par les kashihon manga dans la vie de Mizuki et l’histoire du manga en général. Vous rappelez-vous la première fois que vous avez rencontré Mizuki Shigeru ?Takano Shinzô : Je crois que c’était en 1964. Je travaillais encore pour un quotidien et j’ai été chargé de l’interviewer. Non, attendez. Je l’avais déjà rencontré l’année précédente. Je voulais acheter un exemplaire d’un de ses kashihon mangas. J’avais donc demandé à un autre dessinateur, Satô Masaaki, l’adresse de Mizuki, à Chôfu et je lui avais rendu visite. A l’époque, vous étiez déjà un fan de mangas ?T. S. : Plus jeune, je n’étais pas très intéressé, mais en 1962, Shirato Sanpei, qui était à l’époque l’un des artistes les plus populaires, m’a fait découvrir le kashihon manga. En 1964, il a lancé avec Nagai Katsuichi, Garo, un magazine qui est devenu l’une des publications de manga les plus intéressantes. Vous avez fini par quitter votre emploi au journal et, en 1966, vous avez rejoint la rédaction de Garo, dont vous êtes devenu le rédacteur en chef de facto. Le numéro de septembre 1966 de Garo comporte d’ailleurs une illustration de Mizuki en couverture. Est-ce à cette époque qu’il a commencé à contribuer au magazine ?T. S. : Non, il y a participé dès le premier numéro. Il est vrai qu’au début, la plupart de l’espace du magazine était occupé par les histoires de Shirato Sanpei, mais d’autres auteurs y figuraient également. À l’époque, Shirato était déjà un artiste populaire, tandis que Mizuki était encore quasi inconnu, mais ils avaient tous deux un passé commun, ayant travaillé pour le marché du manga de location pendant de nombreuses années. Je suppose donc que Shirato, qui était à la tête de Garo, voulait lui donner un coup de pouce même si le mensuel était un magazine sans ressources qui payait très mal. Comment était votre relation avec Mizuki ? Quel genre de personne était-il ?T. S. : Il avait certainement du talent. Après tout, il avait même étudié à l’Université des Arts de Tôkyô. Ce genre de talent était rare dans le monde du manga de location, de sorte que des histoires comme Akuma-kun et Mon copain le kappa se distinguaient des histoires plus médiocres. C’est la principale raison pour laquelle il a attiré l’attention de Shirato et qu’il a participé à Garo. Cependant, ses mangas ne faisaient pas recette. L’action et la science-fiction étaient appréciées sur le marché des kashihon, mais Mizuki ne s’y intéressait pas. Même chez Garo, il y avait des auteurs plus populaires comme Tsuge Yoshiharu. Quel genre d’histoires Mizuki apportait-il au magazine ?T. S. : Au début, il s’agissait principalement de satire sociale. On pourrait appeler cela sa période nihiliste, en ce qui concerne les mangas. Pour être franc, c’était un peu aléatoire. Je suppose que son cœur n’était pas vraiment dans ce genre. L’une de ces histoires est intitulée Kamoi-den. Était-ce une parodie du célèbre manga de Shirato, Kamui-den ?T. S. : Mizuki aimait ajouter des personnages étranges et une bonne dose d’humour à ses histoires. Il existe également un manga de kashihon mettant en scène l’écrivain Mishima Yukio (voir Zoom Japon n°105, novembre 2020). Il a certainement parodié les œuvres d’autres personnes, notamment les histoires de ninja de Shirato. Cependant, Kamoi-den était un peu différent. Publié en janvier 1966, il raconte la rencontre de deux chercheurs avec un homme préhistorique effrayant (kamoi signifie effrayant) vivant dans une montagne (Dans l’œuvre de Shirato Sanpei, l’un des premiers personnages qui apparaît est un géant très velu). Ils l’emmènent à Tôkyô pour lui montrer comment la civilisation moderne rend les gens heureux. Cependant, après avoir vécu une série de mésaventures éprouvantes, l’homme de pierre velu décide que la civilisation n’est pas si bonne que ça et retourne dans sa montagne. Pourquoi pensez-vous que Mizuki a dû attendre si longtemps avant que son manga ne connaisse le succès ?T. S. : Il ne dessinait que ce qu’il voulait et était peu enclin à suivre les goûts des lecteurs. Beaucoup de ses histoires étaient assez sombres, tant par leur contenu que par leur style. Il devait être difficile de continuer à dessiner tout en étant sans le sou.T. S. : Pendant de nombreuses années, il a certainement gagné très peu d’argent en tant que mangaka. Lorsqu’il créait pour le marché du manga de location, il a probablement écoulé moins de 1 000 exemplaires alors que Shirato, par exemple, pouvait tabler sur 5 000 à 6 000. Cependant, je ne suis pas sûr qu’il était aussi pauvre que ses biographes le disent. Après tout, sa famille et ses beaux-parents étaient des gens riches et ils pouvaient toujours venir à la rescousse lorsqu’ils étaient à court d’argent. Sa femme a probablement plus souffert que lui, car elle ne pouvait pas toujours demander de l’argent à ses parents. J’ai entendu dire que les kashihon manga ne payaient pas beaucoup de toute façon.T. S. : Oui et non. Cela dépendait de votre popularité. Un manuscrit moyen de 138 pages, par exemple, était payé entre 25 000 et 30 000 yens, soit l’équivalent de 150 000 à 200 000 yens (de 1 100 à 1 500 euros) d’aujourd’hui. A titre de comparaison, le salaire de départ d’un fonctionnaire était à l’époque inférieur à 10 000 yens, ce qui représentait donc une somme d’argent considérable. Cependant, c’était un emploi très précaire, car les éditeurs abandonnaient toujours les auteurs impopulaires. Au début, Mizuki était trop lent pour terminer son travail avant la date limite mensuelle. De plus, certaines de ses histoires étaient soit refusées, soit payées moins que le prix du marché parce qu’elles avaient peu de potentiel commercial. Ce n’était donc pas une source régulière de revenus. Il était toujours occupé à dessiner pendant que sa femme faisait la tournée des éditeurs pour récupérer l’argent. Mizuki avait déjà la quarantaine quand il est finalement devenu un mangaka à succès.T. S. : Oui, on lui a proposé de travailler pour un magazine mensuel grand public après que Tezuka Osamu eut cessé de travailler pour eux. Il a été convaincu par son rédacteur en chef d’écrire une histoire plus adaptée aux enfants et, en 1965, Terebi-kun a remporté le prix Kôdansha du manga pour enfants, faisant de Mizuki le premier artiste issu du manga de location à remporter un tel prix.Une chose amusante s’est produite dans les jours qui ont précédé la remise du prix. Comme je l’ai mentionné précédemment, je l’avais interviewé en 1964. A cette occasion, il avait dit du mal des grands éditeurs. Puis, le lendemain de l’entretien, il est venu à mon bureau me supplier de ne pas publier cette partie parce qu’il avait peur d’être ostracisé par l’industrie du manga. J’ai ri et lui ai expliqué qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Après avoir remporté ce prix, Mizuki a soudainement reçu de nombreuses demandes de...