Après un demi-siècle de carrière, la mangaka conserve la même envie de partager sa passion pour les belles histoires.
Connue en France principalement pour le personnage-culte de Candy Candy puis pour la série Mayme Angel et Georgie, Igarashi Yumiko est une dessinatrice prolifique qui célèbre en 2013 ses 45 ans de carrière. Elle revient en force dans l’actualité du manga en France avec une nouvelle œuvre, Joséphine (librement inspirée de la vie de Joséphine de Beauharnais, à paraître chez Pika courant 2013, ), et avec 2 œuvres plus anciennes, tirées du patrimoine littéraire mondial, Roméo & Juliette, d’après Shakespeare, et Madame Bovary, d’après Flaubert. Ces deux ouvrages sont publiés, avec les textes originaux, par Isan Manga.
Dans quel esprit avez-vous adapté Roméo & Juliette en manga ?
Igarashi Yumiko : La première fois que j’ai lu la pièce de Shakespeare, j’avais 14 ans et j’ai trouvé cela très romantique. A l’époque, je dévorais tous les livres qui me tombaient sous la main, dont de très nombreuses pièces de Shakespeare. Plus tard, je suis tombée sous le charme d’Olivia Hussey, l’actrice qui interprète Juliette dans l’adaptation au cinéma de Franco Zeffirelli. Lorsque l’éditeur Sekai Bunkasha m’a contactée pour des adaptations d’œuvres littéraires en manga, au début des années 90, j’ai tout de suite accepté de me charger de Roméo & Juliette, mais j’ai insisté auprès de l’éditeur pour revisiter l’œuvre et l’adapter à mon univers. J’avais déjà plus de 40 ans lorsque j’ai entrepris cette adaptation et je me suis attachée à représenter Roméo comme un idéal masculin aux yeux des lectrices. C’était prendre à contre-pied les autres adaptations de la pièce de Shakespeare où l’action évolue selon le personnage de Roméo. Avec moi, c’est à travers le regard de Juliette que se déroule l’action, ce qui est après tout normal pour une adaptation dans le genre shôjo. Pour dessiner les expressions de Roméo, je me suis inspirée des photos et des illustrations de jeunes acteurs adolescents, appartenant à l’écurie de Talento Johnny’s, où provenant de magazines de cinéma américains. Pour les expressions de Juliette, je n’ai pas eu à chercher bien loin, Juliette, c’était moi…
Quelle est la principale difficulté pour adapter une œuvre littéraire en manga ?
I. Y. : Indéniablement, c’est d’arriver à synthétiser les dialogues, toujours trop longs, pour qu’ils rentrent dans les bulles sans envahir les cases. Il faut trouver le bon équilibre entre le respect de l’œuvre originale, la progression narrative et le volume physique qu’occupent les dialogues dans le manga. Il faut pratiquer un découpage à l’envers, rescénariser l’œuvre originale en mettant l’accent sur l’économie de dialogues. C’est un problème propre aux adaptations littéraires, auquel on n’est pas confronté lorsqu’on dessine une œuvre originale.
Et pour Madame Bovary, qu’est-ce qui vous a séduit dans le texte de Flaubert ?
I. Y. : C’est une œuvre dont le sujet était terriblement contemporain au moment où je l’ai adaptée au Japon, au début des années 90. Comme Emma Bovary, les jeunes femmes japonaises découvraient à l’époque une certaine forme de liberté insouciante, où elles profitaient à plein de la société de consommation et mordaient la vie à pleines dents. A la différence de leurs mères éduquées selon des valeurs familiales centrées sur leur foyer au détriment de leur épanouissement personnel, ces jeunes femmes n’hésitaient pas à prendre des amants. J’ai tiré du roman de Flaubert l’idée-force que si le mari est insignifiant, sans charme, et ne sait pas satisfaire son épouse, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même si cette dernière le trompe. En fait, malgré la différence de culture, la nature fondamentale de l’homme est la même partout au monde.
Propos receuillis par Etienne Barral
Le patrimoine manga mis à l’honneur :
Isan Manga est un nouveau venu de l’édition de mangas en France. Il propose pour son lancement deux œuvres signées Igarashi Yumiko, la dessinatrice mondialement célèbre de Candy Candy. En japonais, le terme Isan signifie “patrimoine”, et l’ambition de l’éditeur est bien de faire découvrir aux lecteurs français des œuvres et des auteurs japonais qui resteront dans l’histoire de ce genre. Loin de la production de masse, vite consommée, vite oubliée, Isan Manga a pris le parti des “beaux livres” que l’on prend non seulement plaisir à lire, mais aussi à aligner dans sa bibliothèque. Pour faire honneur aux auteurs accueillis dans la collection, et satisfaire les amateurs éclairés de manga, l’éditeur a donc fait le choix d’une couverture cartonnée avec une finition soignée. Isan Manga, des mangas à s’offrir !