Le manga féminin a trouvé sa nouvelle star. Yamashita Tomoko a tout pour s’imposer comme le grand auteur des années 2000.
Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie”. Ces vers de François Ier qu’il aurait écrits sur la vitre d’une fenêtre du château de Chambord, Yamashita Tomoko ne les a sans doute jamais vus, mais la mangaka semble partager cette opinion quand on lit Her, élu manga de l’année au Japon. Chose exceptionnelle, la dessinatrice a vu une autre de ses œuvres se classer à la deuxième place de ce célèbre palmarès très attendu à la fin de chaque année. Monter sur la plus haute marche du podium signifie pour le manga choisi une notoriété plus grande et une augmentation des ventes. C’est aussi pour l’auteur, l’assurance de voir sa cote s’envoler. Cela confirme en tout cas que le ou la mangaka appartient désormais à un club auquel tous les jeunes artistes voudraient bien appartenir. Toute chose égale par ailleurs, la première place de ce classement annuel des mangas est l’équivalent d’un Goncourt ou d’un Fémina en littérature. Pour Yamashita Tomoko, c’est la confirmation de son statut de star prometteuse du manga.
Longtemps considérée comme un auteur abonné au genre yaoi (au Japon, on utilise plutôt l’expression Boy’s love (BL) pour désigner ce type d’œuvres), c’est-à-dire des mangas où l’intrigue est centrée autour d’une relation homosexuelle entre personnages masculins, la jeune Yamashita (elle n’a que 30 ans) prouve avec Her sa capacité à se libérer de ce carcan. Comme un peu partout dans le monde, on s’attend qu’un auteur, qui a trouvé un style dans lequel il excelle, s’y tienne et livre régulièrement des histoires sans surprises et plaisantes à lire. L’auteur de Her à qui l’on doit également Butter !!! appartient à cette génération de jeunes mangaka féminines qui refusent de se laisser enfermer dans un genre et souhaitent explorer des aspects de la vie inattendus. Elle n’est pas la seule dans ce cas. Beaucoup d’entre elles ont d’abord œuvré dans le genre BL que le public féminin apprécie particulièrement avant de commencer à en sortir pour conquérir un lectorat plus large composé à la fois de femmes et d’hommes, de jeunes et de vieux. C’est particulièrement évident depuis le milieu des années 2000. Yoshinaga Fumi, Ono Natsume, Mizushiro Setona et bien sûr Yamashita Tomoko ont fait franchir un pas gigantesque au manga féminin, en montrant que tout ne se résumait pas aux relations entre hommes ou entre homme et femme. Elles ont choisi de mettre en évidence les contradictions qui sont enfouies en chacun de nous. Il y a davantage de profondeur dans les personnages que par le passé, ce qui les rend bien entendu plus attachants, car plus humains en définitive. Dans Her, Yamashita Tomoko s’est attaquée au thème de la femme, en montrant que tout n’est pas si simple pour elle et que l’avenir peut lui faire peur même si elles ne sont que des personnages de papier. Il n’est donc pas étonnant que le manga attire un public composé d’hommes sans doute en quête de réponses sur la gente féminine. En s’attardant sur la coexistence au sein de chaque individu d’un côté positif et d’un côté négatif, elle insiste sur notre humanité dans laquelle nous, lecteurs, ne pouvons que nous reconnaître. Voilà le secret de cette génération de mangaka dont Yamashita Tomoko est une des meilleures représentantes actuellement. Avec Her, elle transcende aussi les générations, en examinant à sa manière ce que le pauvre cœur des femmes peut ressentir selon leur âge. Mais attention, ne vous attendez pas à un manga de psychologie. Ce sont des instants, des regards qui se croisent, quelques paroles simples, mais tranchantes ou encore des silences qui en disent longs. “L’avenir me fout les jetons”, dit la jeune coiffeuse dans l’un des épisodes de ce recueil d’histoires courtes. La peur de vieillir et d’être seule est exprimée de manière extrêmement forte en deux pages d’une très grande intensité. Le trait de Yamashita Tomoko contribue à renforcer cette impression de malaise de la jeune femme qu’elle a plantée, au milieu d’une case, les bras ballants avec cette phrase écrite en gros “L’avenir me fout les jetons”. La page suivante, on la retrouve dans la même position, mais cette fois au milieu d’un décor dans lequel apparaît au premier plan une autre femme de dos qui se dirige dans sa direction. Que va-t-il se passer ? Pour le savoir, il faut tourner la page et là, comme au cinéma, on a renversé les places. La femme qui est en arrière plan, est maintenant de face. On s’aperçoit qu’elle a un certain âge. Dans le plan suivant, elles se croisent de profil, celui de la coiffeuse est dans la lumière tandis que celui de la passante est dans l’ombre. Autant le visage de la jeune est expressif autant celui de la femme plus âgée ne montre aucune émotion. Dans la dernière case de la page, il ne reste que les cheveux blancs de la passante. Ces quelques pages illustrent tout le talent de cet auteur qui a une maîtrise parfaite du découpage et un sens de la mise en scène extrêmement bien développé. C’est donc une œuvre complète dans laquelle différents publics peuvent y trouver leur compte. On attend maintenant qu’un éditeur français s’en empare et en fasse toute la promotion qu’elle mérite. La reconnaissance des critiques qui l’ont classée au sommet fin 2010 est donc un argument supplémentaire pour qu’on s’y intéresse rapidement chez nous. Il est rare de tomber sur des mangas de cette qualité de nos jours. Cela prouve que le secteur a encore quelques beaux jours devant lui s’il parvient à laisser s’exprimer des talents de cet acabit. Souvent femme varie, tant mieux !
Odaira Namihei
Biographie
Yamashita tomoko est née en 1981. Elle a fait ses débuts en 2005 avec Kami no na ha yoru dans Comic Dandan. Actuellement, elle publie sa série Butter !!! dans le magazine de prépublication Afternoon.