Pendant des années, l’opinion publique a vécu tranquille avec le mythe de la sécurité.
La confiance que les Japonais ont pu avoir vis-à-vis du nucléaire est largement liée à la façon dont on la leur a présentée. Entre le discours officiel qui défendait le principe d’une énergie propre dans un pays dépourvu de matières premières et des compagnies d’électricité qui ont milité pour le développement du tout électrique depuis le début des années 1980, il n’y a guère de place pour une offre alternative accessible au grand public. Les Japonais ont donc vécu avec l’assurance que le nucléaire était la solution à nombre de leurs problèmes malgré quelques alertes matérialisées par des incidents dans quelques centrales. “Il y a des gens qui critiquent les centrales nucléaires et qui demandent ce qui se passerait si un réacteur tombait en carafe après un séisme. Moi je leur dis, au contraire, que l’endroit le plus sûr en cas de tremblement de terre, c’est une centrale nucléaire. A coup sûr, c’est là-bas que j’irai me réfugier (rires). Ceux qui prétendent que les nouvelles technologies sont dangereuses ne sont que des jeunes imbéciles qui cherchent à se faire bien voir par les médias”. Ces propos sont ceux de Kitano Takeshi. Il les a tenus dans un entretien accordé au mensuel Shinchô 45 paru en mai 2010. Comme beaucoup d’autres personnalités, le réalisateur de Hanabi a souvent défendu l’industrie nucléaire dans des interventions que l’hebdomadaire Kinyôbi a recensées dans son édition du 15 avril. Sous le titre Le Crime nucléaire des gens de la culture, Sakata Makoto, l’un des membres de la rédaction du magazine, montre qu’un nombre non négligeable d’artistes (acteurs, mangaka) ou de chroniqueurs connus ont contribué ces dernières années à la promotion du nucléaire sans jamais évoquer la possibilité d’une faille dans la sécurité des installations. Il est évident que ce discours répété en a pris un sérieux coup depuis le 11 mars 2011.
Cela ne veut pas pour autant dire que les dangers du nucléaire au Japon n’aient jamais fait l’objet de critiques dans l’archipel. Alors que le pays s’engageait sur la voie du tout nucléaire le cinéaste Hasegawa Kazuhiko a sorti, en 1979, son film Taiyô wo nusunda otoko [L’Homme qui a volé le soleil] dans lequel il montrait les limites de la sécurité dans les centrales nucléaires nippones, notamment celle de Tôkaimura dans la préfecture d’Ibaraki. Le film a connu un certain succès au moment de sa sortie, mais c’était le moment où la puissance économique japonaise éclatait au grand jour et la consommation s’imposait comme le sport numéro un. L’information sur le nucléaire devenait alors bien secondaire aux yeux des Japonais qui continuaient néanmoins à avoir une attitude discriminatoire vis-à-vis de ceux originaires de régions où il y avait présence de nucléaire. Hirai Norio, qui a publié un document sur la centrale de Fukushima peu avant son décès en 1997, a rapporté des témoignages en ce sens, notamment celui d’une jeune femme qui devait se marier. “La date du mariage avait été fixée, mais il a été annulé à la dernière minute. Mon futur conjoint m’a dit que ses parents avaient appris que j’avais vécu dix ans près de la centrale de Tsuruga et que mes enfants auraient plus de risques de contracter des leucémies”, lui avait-elle raconté. A l’aune de ce récit, on peut se demander ce que les gens issus des zones proches de Fukushima auront à souffrir dans les années à venir.
Gabriel Bernard