Fidèle à son engagement de publier des mangas de qualité, Akata nous offre une belle adaptation du roman Le Bateau-usine.
Œuvre unique d’un auteur qui mourra sous la torture de la police politique, Le Bateau-Usine (Kanikôsen) a marqué à jamais l’histoire de la littérature japonaise. C’est tellement vrai que ce roman prolétarien a fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques en 1953 et en 2009. Il a aussi été adapté plusieurs fois sous forme de manga afin de répondre à une forte demande de la part d’une partie de la jeunesse japonaise. Cette dernière, victime d’une crise économique sans précédent, se retrouvait au début des années 2000 dans une phase accélérée de précarisation et cherchait des réponses à un malaise social croissant. A l’instar de la première adaptation au cinéma, celle signée Yamamura Sô, qui se caractérisait par une qualité largement au-dessus de la moyenne grâce à des dialogues et une tension dramatique à la hauteur de celle présente dans le roman originel, le premier manga, qui en a été tiré en 2006, est de loin le meilleur de tous.
Signé Fujio Gô, ce manga avait comme ambition première lors de sa sortie au Japon de permettre aux étudiants de comprendre “en 30 minutes” les tenants et les aboutissants du roman de Kobayashi Takiji. Si l’éditeur français Akata a choisi d’effacer cette référence présente sur la couverture originelle, c’est qu’il estime que l’œuvre s’adresse en définitive au plus grand nombre et que le manga offre une excellente alternative à la lecture du roman publié en France chez Allia en 2015. C’est d’ailleurs sa traductrice, Evelyne Lesigne-Audoly, qui signe la préface de la version française manga. “J’ai hâte de voir ce que tu feras de cette lecture, lecteur. De voir comment elle donnera forme à tes pensées et à tes actions ; quel prisme elle constituera pour façonner ta vision du monde !” écrit-elle. On comprend pourquoi elle s’adresse en ces termes au lecteur dans la mesure où Fujio Gô restitue parfaitement bien l’ambiance et la dureté des rapports entre patrons et ouvriers grâce à ses dessins comme l’avait fait 80 ans plus tôt le romancier avec des mots.
C’est un manga de combat que l’équipe d’Akata a choisi de nous mettre entre les mains et sa lecture ne laissera personne indifférent, y compris celles et ceux qui ne s’intéressent pas à cette forme d’expression. Pour les convaincre de faire une exception, on pourrait ajouter que le grand écrivain et dramaturge Inoue Hisashi avait loué cette adaptation lors de sa parution au Japon. L’éditeur a également repris le texte d’accompagnement originel signé Shimamura Teru, le meilleur spécialiste de la littérature prolétarienne au Japon. Voilà pourquoi en lisant ce manga, vous ferez une plongée dans l’histoire du Japon contemporain et vous enrichirez votre réflexion. Ce livre s’inscrit dans la veine des romans graphiques qui ont tellement le vent en poupe de nos jours.
Gabriel Bernard
références
LE BATEAU-USINE, de Fujio Gô d’après le roman de Kobayashi Takiji, trad. par Miyako Slocombe, Editions Akata, 2016, 7,95 €.