Le journaliste Koh Young-ki a enquêté sur ces Nord-Coréens ayant fui leur pays soumis aux pires difficultés.
Koh Young-ki est un des rares journalistes à avoir enqueté sur la vie des clandestins Nord-Coréens à la frontière chinoise. Son livre intitulé Kochebiyo, dappoku no kawa wo watare (Kochebi, de l’autre côté de la rivière pour fuir le nord, inédit en français) sorti en 2012 raconte l’histoire des kochebi, les enfants des rues et par extension toutes les personnes, enfants et adultes, qui ont fui la Corée du Nord à cause des famines. Né à Osaka en 1966 de parents coréens, Koh Young-ki a fréquenté l’école japonaise puis nord-coréenne avant de rentrer comme rédacteur au DailyNK, un journal en ligne qui défend les droits de l’homme en Corée du Nord. Interdit de séjour au pays de la dynastie des Kim, dont il critique le système totalitaire, Koh Young-ki a choisi de se rendre à Enki, une ville à la frontière entre la Chine et la République populaire démocratique de Corée. Il y a rencontré des travailleurs clandestins qui vont et viennent au péril de leur vie pour nourrir leur famille restée sur place. On découvre dans son récit le chômage et la famine qui minent périodiquement le pays. Des milliers d’enfants mendiants hantent les rues. Les plus hardis essaieront de rejoindre la Corée du Sud ou le Japon au prix de plusieurs mois ou années d’errance.
Quel a été votre parcours et vos rapports à la Corée du Nord ?
Koh Young-ki : J’ai été élevé par des parents très communistes, du genre marxiste-léniniste. Mon père est arrivé du sud de la Corée au Japon dans les années 1930, pour travailler. Il a fait la traversée au péril de sa vie. La Corée était extrêmement pauvre après la colonisation de la péninsule par le Japon. Ma mére est née au Japon, mais ses parents venaient également du sud de la Corée, comme pratiquement tous les Coréens installés au Japon. A l’époque, le Parti communiste était très puissant dans l’archipel. C’est ce qui explique cet engouement pour le nord. Il y avait une volonté des Coréens, victimes de discriminations, de se détacher du Japon et de regagner leur indépendance. Pour ma part, je lisais Rosa Luxembourg, mais j’ai toujours eu des doutes sur le système nord-coréen.
Vous vous êtes rendus pour la première fois à la frontière sino-coréenne à quelle occasion ?
K. Y. : J’étais journaliste au DailyNK depuis 1993 quand
j’ai entendu les nouvelles de la famine en Corée du Nord. ll fallait que j’aille voir de mes yeux ce qu’il se passait. Je pensais jusque-là qu’on y menait une vie plus ou moins idyllique, nous avions très peu d’informations. Mais quand je suis arrivé en 1998 dans la ville d’Enki, à la frontière chinoise, c’était un véritable cauchemar. Une famine épouvantable avait fait fuir des milliers de gens – femmes, hommes et enfants – qui essayaient de traverser la frontière dans des conditions horribles. Cette famine a fait 3 millions de morts entre 1995 et 2000.
Quelles étaient les causes de cette famine ?
K. Y. : Le système de gestion alimentaire complètement déficient du pays. Même s’il y avait des vivres, à un moment donné la distribution s’est arrêtée. Les gens ont attendu, en se disant que cela allait arriver et petit à petit, ils se sont affaiblis et sont morts. Il n’y a pas réellement de mort par la famine, c’est par la maladie qu’on meurt.
Votre livre raconte la misère, mais aussi une certaine vitalité.
K. Y. : Oui, tout à fait. J’ai voulu raconter aussi comment tous ces gens survivent, et c’est parfois très drôle. Il y a vraiment des types pas possibles qui font tout pour vous escroquer. On a beau parler de la Corée du Nord, tout n’est pas que triste et sombre. La vie reprend toujours le dessus.
Vous êtes retournés plusieurs fois dans cette ville, et même récemment. Qu’est-ce-qui a changé depuis 1998 ?
K. Y. : La frontière est maintenant couverte de barbelés, c’est devenu encore plus difficile de passer depuis l’arrivée de Kim Jong-un à la tête du pays. Avant, les clandestins y séjournaient grâce à l’envoi de fonds mais à présent, ils s’y rendent comme des travailleurs émigrés pour travailler sur des chantiers afin de pouvoir envoyer l’argent tous les mois à leur famille. La Corée du Nord ressemble pas mal à l’Algérie! D’ailleurs, nous avons aussi au Japon d’excellents joueurs de foot issus de l’émigration comme Zidane ! Il y a une réelle dépendance économique qui existe entre un pays colonisé et son colonisateur. L’Algérie vit avec les euros, la Corée du Nord avec les yens et autres devises. La preuve, il y a environ 100 000 Nord-Coréens qui habitent en Corée du Sud : ça ne leur plaît pas forcément. Mais même s’ils veulent rentrer, ils ne peuvent pas, leur famille leur demande de rester pour l’envoi des fonds.
Comment voyez-vous l’avenir de la Corée du Nord ?
K. Y. : La Corée du Nord n’a pas assez de ressources pour survivre économiquement. Je pense que pour l’instant il n’y a que la normalisation des relations commerciales entre la Corée du Nord et le Japon qui puissent sauver la situation.
Propos recueillis par Alissa Descottes-Toyosaki