Pour comprendre pourquoi ce plat occupe une place si importante dans l’univers gastronomique de Hiroshima, il faut remonter, une fois encore, à la période qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. Avant le conflit, les crêpes étaient un en-cas répandu dans la ville, en particulier à destination des enfants. Au lendemain de la capitulation du pays, bon nombre de mères de famille soucieuses d’arrondir leurs fins de mois ont eu l’idée de reprendre ce commerce de crêpes, mais en ajoutant à leurs préparations les ingrédients qui leur tombaient sous la main. Des huîtres, autre spécialité locale, aux nouilles soba en passant par du calmar, ces ajouts ont permis de constituer un plat nourrissant dont le goût variait en fonction de son contenu pour un prix des plus modestes. C’est ce qui a contribué à le populariser auprès de la population locale. Le plat a pris un nouvel essor quand l’entreprise Otafuku a lancé une sauce spécialement adaptée à l’okonomiyaki pour en relever le goût. C’est en 1952, au moment où le pays sortait de l’occupation américaine, que l’entreprise a mis sur le marché la bonne formule, à savoir une texture suffisamment épaisse pour ne pas imbiber immédiatement l’okonomiyaki et relevée sans excès pour qu’elle sublime l’ensemble. L’équilibre est tellement proche de la perfection que les chefs n’hésitent pas à arroser leur préparation de cette sauce. Le succès est au rendez-vous pour Otafuku qui en produit chaque jour plus de 250 000 bouteilles. Il y a donc aussi un enjeu économique important derrière l’okonomiyaki. C’est tellement vrai que l’entreprise n’a de cesse de promouvoir ce plat originaire de Hiroshima. En 2008, elle a même ouvert le musée de l’okonomiyaki (7-4-5 Shôkô Center, Nishi-ku, Hiroshima 733-0833, 1 000 yens) conçu par l’architecte Sambuichi Hiroshi qui lui a donné une forme d’œuf qui fait écho au Dôme de la bombe A, vestige du bombardement atomique du 6 août 1945. Outre l’histoire de ce plat, on peut aussi apprendre à le cuisiner sur place grâce à des cours d’initiation qu’il convient de réserver à l’avance. Après la visite, il est rare qu’on ne se laisse pas tenter par un petit tour au restaurant pour en déguster un, préparé selon les règles de l’art par un professionnel. D’autant que chaque restaurant spécialisé dans l’okonomiyaki propose des variations et des atmosphères différentes. Aussi il ne faut pas croire que l’okonomiyaki est une vulgaire crêpe surmontée de chou ou de nouilles sautées et rehaussée d’une bonne couche de sauce brune.
Mais Hiroshima ne se limite pas à ce plat qui a conquis le reste de l’archipel. L’autre référence locale est l’huître. On peut en trouver dans d’autres régions comme le Tôhoku, au nord-est de l’archipel, mais les huîtres de Hiroshima sont les plus réputées. On les prépare de différentes façons, ce qui permet de varier les plaisirs si l’on apprécie ce fruit de mer. Sur l’île de Miyajima jumelée avec le Mont Saint-Michel, on les grille ou on les mange fraîche avec un filet de vinaigre. A Hiroshima même, quelques établissements proposent le kaki-no-dotenabe, une cassolette d’huîtres au miso, savoureuse. On ne compte plus les restaurants spécialisés, mais s’il fallait en conseiller un, le Toyomarusuisan (Man reed building 2F, 7-24, Hondori, Naka-ku, Hiroshima, 730-0035, ouvert tous les jours à partir de 16h) figurerait en tête de liste. Non seulement on y trouve une ambiance d’izakaya des plus agréables, mais le chef sait mettre les huîtres en valeur. Du kaki nabe (pot-au-feu d’huître) au kaki to shiro hamaguri no gangan mushi (huîtres et palourdes au saké cuites à l’étouffé) en passant par le classique kaki furai (huîtres panées), chaque plat préparé avec soin est une ode à ce fruit de mer qui constitue l’une des grandes richesses de la cité portuaire.