Morvan Perroncel s’est efforcé de traduire les textes comme s’ils avaient été écrits par un francophone. / Corrine Quentin pour Zoom Japon Lauréat 2023 du prix Konishi, Morvan Perroncel revient sur son parcours et les exigences liées à la tâche du traducteur. Récompensé par le prix Konishi 2023 pour sa traduction “à la fois scrupuleuse, savante et claire, dans une langue fluide, permettant aux lecteurs francophones de suivre l’argumentation précise et puissante” de Maruyama Masao sur le fascisme japonais, Morvan Perroncel s’est confié à Zoom Japon. Quelle est votre formation générale ?Morvan Perroncel : Entre 1989 et 1998, j’ai fait des études d’histoire à Paris tout en suivant des cours d’économie et de sociologie. En 1994, mon mémoire de maîtrise traitait des relations commerciales France-Japon entre les deux guerres. J’ai commencé l’étude du japonais quand je suis entré en maîtrise, relativement tard donc ; je n’ai pas pu suivre un cursus complet de japonais et j’ai dû apprendre beaucoup par moi-même, en France et au Japon. De 1998 à 2000 j’étais étudiant au Japon et c’est juste après que j’ai découvert l’œuvre de Maruyama. De 2001 à 2008, j’ai enseigné le français dans plusieurs universités japonaises tout en préparant un doctorat en France, travail qui a été publié, en 2016, aux Belles Lettres sous le titre Le Moment nipponiste (1888-1897). Nation et démocratie à l’ère Meiji. A partir de 2008, j’ai enseigné le français à l’Université Chûkyô, à Nagoya, et depuis 2020, l’histoire, dans la section Histoire globale de la Faculté internationale. Pourquoi traduisez-vous ?M. P. : Pour moi, la traduction fait partie du travail d’historien. J’ai voulu étudier l’histoire du Japon parce que c’était un domaine hélas largement ignoré des historiens en France : mes professeurs connaissaient surtout l’histoire de la France, mais, à quelques exceptions près, les domaines étrangers étaient assez peu pris en compte. Au Japon j’ai découvert l’importance des traductions, depuis l’ère Meiji (1868-1912), de langues occidentales notamment. J’ai compris à quel point cette accumulation de traductions était précieuse pour ceux qui se lancent dans l’étude d’un domaine étranger.Traduire, c’est permettre à des non-japonisants de connaître le Japon autrement que par des sources parfois incertaines, comme des traductions à partir de l’anglais ou des ouvrages de non-spécialistes. Traduire, c’est aussi permettre aux japonisants d’accéder plus rapidement et confortablement aux auteurs qui les intéressent et dont ils pourront aller voir ensuite le texte original si la traduction ne leur suffit pas. D’un point de vue personnel, c’est me confronter à une difficulté que l’on évite si l’on se contente de lire, de résumer, ou de citer seulement quelques phrases. Il faut s’élever à un niveau de compréhension du texte qui n’est pas forcément nécessaire pour la simple lecture par exemple. J’aime aussi le jeu sur le style que permet le travail sur des textes japonais anciens de l’époque Meiji : pouvoir tenter de les rendre dans une langue française qui n’est plus beaucoup utilisée mais que j’apprécie et qui reste claire, quand je lis par exemple des textes français du XIXe… J’aime aussi le côté “enquête” qu’est la traduction, quand il y a un blanc dans un texte, quelque chose que l’on sent échapper et qu’il faut chercher à saisir puis à rendre en trouvant le terme qui peut convenir : ce moment est très agréable, quand tout à coup cela devient clair… Mais pour cela il faut aussi du temps… La traduction de Morvan Perroncel est parue aux Belles Lettres en 2021. Quelles sont vos méthodes de travail ?M. P. : Rien de très original, je pense : pour commencer, je lis le texte et l’annote, puis je prends le texte phrase à phrase, lentement, tout en faisant des recherches sur les personnes ou les faits dont il est question. Je passe beaucoup de temps à relire et corriger, à vérifier le sens de certains mots dans des dictionnaires de l’époque ou des travaux d’historiens du Japon francophones.Pouvez-vous nous parler de Maruyama Masao et préciser votre intérêt pour cet auteur ?M. P. : Pour mon DEA, je cherchais un auteur qui parle du Japon moderne ou contemporain, tout en offrant des perspectives de comparaison. Dans un livre d’histoire que j’avais trouvé vraiment très intéressant, La Civilisation des mœurs de Norbert Elias, il y avait de longues comparaisons entre la France et l’Allemagne, précises et rigoureuses : je cherchais quelque chose de ce genre et on m’a suggéré de lire Maruyama. J’ai passé une année à déchiffrer… et en effet la perspective comparatiste est très importante, structurée, discutée, et peut-être discutable sur certains aspects, mais elle est là. Je suis vraiment reconnaissant à celui qui m’a fait lire Maruyamamais, après cette première rencontre, j’ai eu envie de me tourner vers une autre période de l’histoire japonaise, Meiji. J’ai traduit des textes de Maruyama sur cette époque, peu connus et qui n’étaient pas traduits en anglais. Et puis, plus tard, en revenant à ces textes sur le fascisme,...