
Romancier à succès, Imamura Shôgo revendique ses racines locales et défend l’avenir de la lecture.
Depuis 2017, date à laquelle son premier ouvrage, Hikuidori [L’oiseau mangeur de feu], a remporté le 7e prix du club des auteurs de romans historiques pour les nouveaux livres de poche, Imamura Shôgo a reçu de nombreuses distinctions prestigieuses, dont le prix du roman Kadokawa Haruki 2018, devenant rapidement l’étoile montante des romanciers historiques. Il a été nominé deux fois pour le prix Naoki (sans doute la plus haute distinction japonaise pour la littérature populaire) avant de finalement le remporter en 2022 avec Saiô no tate [Le Bouclier du Roi de la Forteresse]. Écrivain très prolifique à l’endurance surhumaine (il a publié au moins 30 livres entre 2017 et 2024), il entretient une relation forte avec Shiga, sa région d’adoption.
Depuis quand êtes-vous fasciné par les romans historiques ?
Imamura Shôgo : Enfant, j’aimais les drames d’époque, y compris les feuilletons historiques au long cours de la NHK qui duraient toute l’année (voir Zoom Japon n°130, mai 2023). J’aimais les scènes où les samouraïs chargeaient. Ma grand-mère dit que je regardais même les programmes de théâtre kabuki diffusés par la chaîne publique, même si je ne m’en souviens pas. Cependant, je ne suis tombé amoureux des livres qu’à l’âge de 11 ans, lorsque j’ai trouvé Sanada Taiheiki d’Ikenami Shôtarô dans une librairie d’occasion à Nara. A partir de là, j’ai lu plus de 100 livres par an, tous des romans historiques, et vers 13 ou 14 ans, j’ai décidé qu’un jour je deviendrai écrivain.
C’est un parcours intéressant dans la mesure où vous détestiez les livres quand vous étiez enfant.
I. S. : C’est vrai. J’ai lu beaucoup de livres d’images quand j’étais petit. Ma mère m’encourageait à lire et achetait beaucoup de livres. Nous avions des centaines de titres à la maison. Malgré cela, j’en suis venu à détester la lecture. Je ne lisais pratiquement pas à l’école primaire. J’avais l’impression d’être obligé de lire les ouvrages que mon professeur me donnait à lire. Je détestais particulièrement les vacances d’été, quand je devais écrire mes impressions sur une œuvre en particulier. Je suis sûr que beaucoup de gens finissent par détester la lecture à cause de cela.
J’ai aussi grandi à la campagne, alors je jouais beaucoup dehors. Je pouvais piquer des poissons avec un harpon. Ce n’était pas parce que j’aimais ça, mais parce que tous les enfants du coin le faisaient. D’un autre côté, j’adorais faire des puzzles et construire des maquettes en plastique à la maison. Puis, après avoir lu Sanada Taiheiki, j’ai découvert le pur plaisir de lire dans une pièce climatisée. C’était un pur bonheur.
Puisque vous aimiez les romans historiques, vous deviez apprécier les cours d’histoire.
I. S. : J’aimais lire des encyclopédies pour acquérir des connaissances générales sur les histoires que je lisais. Lorsque je plongeais dans un roman, je vérifiais certaines informations sur des ouvrages de référence, puis je retournais à la lecture, et ainsi de suite. C’est pourquoi j’étais bon en histoire. Mais j’étais nul dans tout le reste (rires).
Vous avez exercé plusieurs métiers avant de devenir écrivain, n’est-ce pas ?
I. S. : Lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai travaillé comme professeur de danse et compositeur dans l’entreprise de mon père tout en rêvant de devenir un jour romancier. Notre famille dirige une école de danse, alors j’ai commencé à danser en troisième année de collège. Je n’ai jamais vraiment aimé danser, et mon petit frère était bien meilleur que moi, mais je suis quand même devenu professeur de danse parce que j’aimais enseigner aux gens, même aux enfants. Je suppose que cela se reflète dans mon style d’écriture. Dans mon cas, je combine ma connaissance de l’histoire avec mon désir de dépeindre les liens entre les gens.
Le marché du roman historique est-il important au Japon ?
I. S. : Il est plutôt important, oui. Même au Japon, le marché du livre dans son ensemble s’est beaucoup réduit, mais j’ai l’impression que ce secteur se porte raisonnablement bien. Cela dit, peu de gens peuvent vivre de la littérature populaire. Dans mon genre, nous étions entre dix et trente au maximum, mais maintenant, nous ne sommes plus que cinq. Alors, bien sûr, la concurrence est rude. Je trouve cela stimulant.
Qui sont vos lecteurs types ?
I. S. : D’une manière générale, les amateurs de romans historiques sont composés à 70 % d’hommes et à 30 % de femmes. En termes d’âge, environ 70 % ont plus de 50 ans. J’ai compris que si je continuais comme ça, mon lectorat s’effondrerait complètement en vieillissant, alors j’ai commencé à écrire d’une manière différente pour attirer des lecteurs plus jeunes, des adolescents et des personnes dans la vingtaine. Depuis deux ou trois ans, j’essaie de créer quelque chose de plus divertissant, avec des intrigues passionnantes. En conséquence, ma part de fans plus jeunes a augmenté, et environ la moitié de mes lecteurs sont maintenant des femmes. Je dois également remercier Netflix d’avoir rendu les histoires de samouraïs plus populaires.
Ce qui est intéressant, c’est que même si mes livres se vendent à parts égales, ce sont surtout les femmes qui viennent aux séances de dédicaces et aux événements. Elles sont beaucoup plus actives, dépensent plus d’argent et sont très engagées dans le partage d’informations et la diffusion de mes œuvres. Les femmes peuvent être très enthousiastes à propos des choses qu’elles aiment. Les hommes, en revanche, ont tendance à rester à la maison et à lire seuls.

Avez-vous déjà collaboré à un manga ?
I. S. : Oui, j’ai déjà travaillé sur trois mangas et j’en ai encore un de prévu [on lui doit notamment le scénario de Sengoku – Chronique d’une ère guerrière dessiné par Kouji Megumi et paru chez Pika en 2023]. Je travaille également à la transformation d’un de mes écrits en anime. Cette fois, je suis directement impliqué. Je n’ai jamais rien fait de tel auparavant, mais j’ai hâte de travailler avec une équipe pour créer des animations et des choses de ce genre. C’est quelque chose qu’ils font beaucoup en Corée et dans d’autres pays d’Asie.
Comment décririez-vous votre style et votre approche de l’écriture et de la narration ?
I. S. : Je commence par trouver un thème, puis je choisis l’époque et les personnages pour l’exprimer de la meilleure façon possible. Je dirais que je crée des histoires de la même manière qu’un réalisateur de cinéma. Quand je travaille sur les personnages, je commence par les décrire en détail dans la première moitié de l’histoire. Je fais en sorte que le lecteur s’attache à chacun d’eux. Puis, dans la seconde moitié, je jette cet individu au milieu d’un groupe. Lorsqu’on essaie de capturer une scène de groupe, il faut parfois utiliser un travail de caméra qui donne l’impression d’une vue aérienne, comme si l’on pilotait un drone. Cependant, de cette façon, on ne peut pas voir les individus de près, il faut donc veiller à garder le bon équilibre entre le général, les scènes de masse, et le particulier, le facteur humain.
Ce que les lecteurs disent le plus souvent de mes écrits, c’est qu’ils sont passionnants. Les romans historiques ont tendance à être calmes et un peu larmoyants, mais beaucoup de mes œuvres sont pleines d’action. Au début, je détestais ça parce que tout ce que j’écrivais était toujours qualifié de captivant, mais j’ai fini par penser que c’était ma marque de fabrique. Après tout, je suis le seul à écrire des romans palpitants sur des événements historiques complexes, alors j’en suis venu à accepter mon individualité en tant qu’auteur.
Avez-vous une période historique préférée ?
I. S. : L’époque la plus souvent représentée dans mes romans est la période Sengoku (1467-1573), Oda Nobunaga et tout ça. La période Edo (1603-1868) est également très présente. Personnellement, je les aime toutes, mais j’ai une prédilection pour la dernière partie de la période Edo, la fin du shogunat Tokugawa et la période Meiji (1868-1912). Le Japon faisait alors de son mieux pour éviter le même sort que la Chine, et je pense que la restauration Meiji fut un miracle en ce sens. Tout le potentiel du peuple japonais est concentré dans ces années. Le fait que nous ayons pu développer notre civilisation à un niveau mondial sans devenir une colonie étrangère fut incroyable.
Dans d’autres interviews, vous avez mentionné que vous aviez un emploi du temps d’écriture très chargé. Vous êtes également un auteur prodigieusement productif. Écrivez-vous toujours 500 pages par mois ?
I. S. : Hahaha ! Non, j’ai peur d’être descendu à 400 maintenant. J’écris généralement de 8 heures à 18 heures Je ne déjeune pas, ou alors je prends juste un yaourt. Vers 18 heures, je commande à emporter ou je mange quelque chose préparé par quelqu’un au bureau, je fais une courte pause, puis j’écris de 21 heures jusqu’à 2 ou 3 heures du matin, puis je vais dormir et je recommence à 8 heures. En un sens, je pratiquais déjà la distanciation sociale bien avant la pandémie (rires). Mon record a été de faire huit publications en série en même temps, y compris pour un hebdomadaire et un quotidien. J’avoue qu’il n’y a pas beaucoup d’écrivains comme moi.
C’est en partie parce que beaucoup de mes romans sont d’abord publiés en feuilleton dans des magazines et des journaux. Il semble que seuls les Japonais fassent ce genre de choses. De l’extérieur, cela peut sembler un travail difficile, mais de notre point de vue, c’est tout à fait naturel. Le développement de notre culture du roman a été étroitement lié aux journaux. Des gens comme Natsume Sôseki l’ont fait tout le temps, et même maintenant, de nombreux auteurs écrivent tous les jours de chaque mois pour les périodiques. C’est aussi une question de statut : pouvoir publier son travail en feuilleton, c’est comme jouer en première division.
D’un autre côté, j’ai l’impression qu’en Occident, les écrivains sont mieux traités. Ils ont un agent qui s’assure qu’ils obtiennent un traitement équitable. Tout comme pour les athlètes professionnels, l’agent veille à leurs intérêts. Il n’existe pas vraiment quelque chose de similaire au Japon pour le moment.
Votre approche de votre travail a-t-elle changé après avoir remporté le prix Naoki ?
I. S. : J’écris toujours beaucoup, comme d’habitude, mais en même temps, je me suis également impliqué dans d’autres activités. Par exemple, les librairies à travers le Japon sont en déclin rapide, et j’en ai sauvé et cogéré quelques-unes. Si nous ne faisons rien, ce ne sont pas seulement les librairies qui disparaîtront, mais aussi les souvenirs et les histoires de chacun. Je fais également du bénévolat pour faire découvrir aux enfants à quel point il est amusant de lire des livres. On pourrait dire que je ressens maintenant une plus grande responsabilité pour protéger la littérature et le monde du livre. Récemment, j’ai également beaucoup travaillé pour le gouvernement. L’Agence des affaires culturelles m’a demandé de participer à un forum pour promouvoir la littérature japonaise à l’étranger.
Ce qui est intéressant chez vous, c’est que peu après avoir commencé à écrire des livres, vous avez quitté votre emploi pour vous concentrer sur l’écriture. Mais aujourd’hui, vous faites toutes sortes de choses.
I. S. : C’est vrai. Le fait est que plus je me familiarise avec l’industrie de l’édition, plus je pense qu’une réforme est nécessaire. Si les choses continuent ainsi, dans 10, 30 ou 50 ans, les livres n’auront peut-être plus d’avenir. Si cela arrive, est-ce que les enfants liront encore des livres comme je le faisais à l’époque ? De plus, moins de gens pourront suivre mon exemple et devenir romanciers. C’est pourquoi j’en suis venu à la conclusion que je dois protéger et encourager la prochaine génération de lecteurs et d’écrivains. Pour passer le relais, en quelque sorte. Pour le dire de manière dramatique, j’ai une mission. L’industrie de l’édition au Japon est en déclin depuis longtemps, et si personne d’autre ne veut venir à la rescousse, alors je le ferai, quoi qu’en disent les autres.
Vous êtes né à Kyôto, mais vous vivez à Shiga depuis un certain temps. En tout cas, vous n’avez jamais quitté la région du Kansai. Dans une autre interview, vous avez déclaré que vous aviez “un sentiment de rivalité avec la région du Kantô” [où se trouve Tôkyô]. Qu’entendez-vous par là ?
I. S. : Aujourd’hui, le Kantô et le Kansai semblent être à peu près à égalité, mais dans le passé, à l’époque de mon père et de mon grand-père, les habitants du Kansai ressentaient une forte rivalité avec le Kantô. Tôkyô était la capitale du shogunat Tokugawa ; elle a été le siège du pouvoir politique pendant les 400 dernières années du règne des Tokugawa, tandis qu’Ôsaka et Kyôto ont toujours été plus axées sur la culture, les affaires et l’argent. Bien sûr, les choses ont beaucoup changé et j’ai l’impression d’appartenir à la dernière génération à avoir connu cette rivalité féroce. Ce n’est pas comme si elle n’existait plus, mais dans le passé, la culture du Kansai avait un esprit plus rebelle. Ces choses ne sont pas si visibles de l’extérieur, mais chaque Japonais en est conscient et il ne s’agit pas seulement de Tôkyô et d’Ôsaka. Par exemple, une rivalité similaire existe entre Kyûshû et le Kansai.
Shiga joue-t-elle un rôle dans votre écriture ?
I. S. : Oui, j’ai écrit quelques histoires dont le lac Biwa ou la préfecture constituent le décor. Même le livre qui a remporté le prix Naoki se déroule à Ôtsu, la principale ville de Shiga. Depuis que j’ai reçu le prix pour ce roman, je me sens encore plus lié à la préfecture. Cette région est très riche en histoire et je m’en sens très proche.
Parlez-moi de votre relation avec la préfecture. Pourquoi n’avez-vous pas déménagé à Tôkyô, comme beaucoup d’écrivains ? Après tout, Tôkyô est la capitale de l’édition au Japon.
I. S. : Au début, lorsque je travaillais à l’école de danse de mon père, j’étais responsable de la région de Shiga. C’est ainsi que je suis tombé amoureux de cette préfecture. Les gens d’ici disent souvent que le lac Biwa est la seule chose remarquable à Shiga, mais il y a d’autres choses très attrayantes. J’ai toujours voulu travailler près du lac. De plus, beaucoup de mes anciens élèves de danse vivent ici, alors être basé dans cette région me donne l’occasion de rester en contact avec eux. En fait, trois des quinze personnes qui travaillent avec moi sont d’anciens élèves de danse.
Une autre raison pour laquelle je vis à Shiga est qu’on dit que c’est là que Murasaki Shikibu a commencé à écrire Le Dit de Genji (voir Zoom Japon n°140, mai 2024), considéré comme l’un des plus anciens romans au monde. C’est le berceau du roman japonais, et je voulais vivre dans un tel endroit. Pour moi, c’est une source d’énergie et d’inspiration.
Quant à Tôkyô… Le fait est que si vous vivez dans la capitale pendant longtemps, vous risquez de perdre le contact avec le reste du pays. Dans un sens, c’est un monde insulaire et égocentrique, et il y a trop de choses que vous ne pouvez pas voir de là-bas. J’ai l’impression de mieux comprendre le Japon depuis une petite ville comme celle où je vis maintenant. En plus de cela, une grande partie du monde littéraire à Tôkyô est axée sur la flatterie, et je n’aime pas vraiment être traité de cette façon. Je veux faire les choses de mon propre point de vue. Donc, dans ce sens, je pense qu’il vaut mieux garder mes distances avec la capitale et faire les choses à ma façon. De plus, si j’avais déménagé à Tôkyô, je n’aurais probablement pas eu une telle opportunité. Et je ne me serais pas beaucoup amusé. Je pense que je m’amuse parce que je suis resté à Shiga.
Propos Recueillis par G. S.