
Ancienne vedette, Ôkubo Kotoe a choisi de reprendre l’auberge familiale en lui donnant un nouvel élan.
Le Japon est réputé à juste titre pour son industrie hôtelière, et ses ryokan (auberges traditionnelles, voir Zoom Japon n°132, juillet-août 2023) se distinguent par leur aspect traditionnel, leurs chambres recouvertes de tatamis, leurs bains communs et leurs repas élaborés. Cependant, le Takarabune Onsen Yumoto Kotobuki de Shiga est un endroit unique où les clients ont la possibilité de se baigner non seulement dans l’eau chaude, mais aussi dans le son. L’architecte de ce mélange intrigant de sources chaudes et de musique est la jeune okami (propriétaire et directrice générale) de l’auberge, Ôkubo Kotoe, une ancienne idole passionnée par la scène et l’écriture de chansons, qui a récemment relevé le défi de perpétuer la tradition familiale tout en apportant quelques nouveautés majeures. Elle a commencé à travailler au Takarabune Onsen après avoir obtenu son diplôme universitaire. Cependant, elle a également mené une carrière artistique réussie, en fondant avec une amie le groupe d’idols AH, dont elle était responsable de l’écriture des chansons. Elle a continué à se produire même après la dissolution d’AH en 2021, chantant souvent ses propres chansons et dansant dans ses vêtements de travail, combinant un kimono rose et un obi avec des bottes Chelsea (hommage personnel à John Lennon).
L’année 2023 a marqué un tournant dans la vie d’Ôkubo Kotoe, lorsqu’elle est officiellement devenue l’okami de l’auberge, succédant ainsi à son père. Elle gère désormais les réservations, sert les clients et imagine de nouveaux projets. Cependant, ses nouvelles responsabilités n’ont pas entamé sa passion pour la musique et le chant. “Mon identité, c’est de porter deux casquettes. Il fut un temps où j’ai arrêté de me produire après mon mariage, mais je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas faire les deux. Après tout, un artiste et un okami ont en commun de se creuser la tête et de trouver des idées différentes pour satisfaire leurs clients et créer une atmosphère conviviale”, assure-t-elle.
Takarabune Onsen Yumoto Kotobuki est situé dans la ville de Takashima, sur les rives du lac Biwa (voir pp. 9-11). La gare la plus proche est Ômi-Takashima sur la ligne JR Kosei. En sortant de la gare, vous serez accueilli par une immense statue en bronze de sept mètres de haut représentant un homme étranger. Il s’agit de Gulliver, le célèbre personnage de Jonathan Swift. La raison de l’installation de la statue de Gulliver est que Takashima gère un centre d’activités de plein air appelé Gulliver’s Travels Village. Ce centre a été créé pour permettre aux enfants d’interagir avec la nature et de développer leur sens de l’aventure.
Le ryokan d’Ôkubo Kotoe se trouve à cinq minutes en taxi de la gare d’Ômi-Takashima, mais un service de navette est également disponible pour les clients de l’hôtel s’ils réservent à l’avance. Cependant, si le temps le permet, il est recommandé de s’y rendre à pied. Cela prend 30 minutes, mais il y a de nombreux endroits intéressants en chemin, notamment des brasseries de saké locales et la surface scintillante du lac Biwa. Takarabune Onsen Yumoto Kotobuki est une charmante maison de style japonais à un étage située juste en face d’une plage de sable propre qui fait également office de terrain de camping : la plage d’Ômi Shirahama. La zone de baignade est peu profonde et sûre, c’est pourquoi de nombreuses familles viennent en été se baigner dans le lac. Des CD et d’autres produits d’artistes sont vendus à la réception, ainsi que du riz Ômi produit localement (voir p. 25). “L’une des raisons pour lesquelles le riz d’Ômi est si populaire est qu’il est cultivé avec une eau de bonne qualité”, rappelle la patronne du lieu. En effet, Takashima est également connue pour son eau. “Plus de 70 % de Takashima est recouverte de forêts. La neige abondante qui tombe en hiver fond au printemps et s’écoule sous terre ou dans le lac Biwa, se transformant en une eau d’une qualité exceptionnelle”, ajoute-t-elle.
Le bâtiment compte quatre chambres de style japonais. Elles peuvent être utilisées non seulement par les clients qui passent la nuit, mais aussi comme salle à manger pour les gens de passage. En parlant de restauration, la famille Ôkubo est particulièrement fière de sa cuisine, qui est élaborée à partir de spécialités locales telles que le bœuf d’Ômi et la truite du lac Biwa. “Mon père, l’ancien gérant, est chef cuisinier et est toujours en charge de la préparation des repas. Nous voulons que les gens sachent que la préfecture de Shiga regorge de délices, c’est pourquoi nous sélectionnons avec soin les ingrédients locaux”, souligne Ôkubo Kotoe.
“La truite est une espèce endémique du lac Biwa et ne peut être dégustée qu’ici. Nous la préparons de quatre manières différentes : grillée, marinée, mijotée et en sashimi. Le bœuf d’Ômi est servi en shabu-shabu (un plat mijoté) et en teppanyaki (cuit sur une plaque de fer). Les aliments fumés sont également un autre délice dont mon père est fier. Les poissons du lac, le canard et d’autres ingrédients cultivés à Shiga sont fumés jusqu’à ce qu’ils deviennent ambrés. Ils sont vraiment délicieux”, explique-t-elle.
Aucune histoire liée aux onsen (source thermale d’eau chaude) ne serait complète sans mentionner le bain. A Takarabune Onsen, il existe deux types de sources chaudes : un bain privé en plein air et des bains intérieurs séparés pour les hommes et les femmes. Les sources chaudes sont riches en minéraux et jaillissent directement de la source. Le bain en plein air Kotobuki no Yu peut être réservé pour 50 minutes pour les gens de passage dans la journée. “Les sources chaudes sont riches en ingrédients hydratants naturels tels que l’acide métasilicique, le fer et le dioxyde de carbone. La température de l’eau à l’origine est d’environ 50°C et nos clients peuvent en profiter à 41°C ou 42°C. L’eau est trouble, visqueuse et douce. Elle réchauffe le corps de l’intérieur et aurait des effets bénéfiques tels que la récupération après un effort et l’embellissement de la peau. C’est l’une de nos principales attractions”, affirme Ôkubo Kotoe.
Les personnes comme Ôkubo-san deviennent rapidement rares au Japon, car on estime que 30 % des petites et moyennes entreprises de ce type ferment aujourd’hui en raison de difficultés à trouver des successeurs. Selon une enquête en ligne menée par le Japan Finance Corporation Research Institute en 2023, environ 30 % des petites et moyennes entreprises prévoyant de fermer leurs portes à l’avenir ont donné comme raison le manque de successeurs. Une autre enquête menée par Teikoku Databank la même année a révélé que sur 270 000 entreprises dans tout le pays, environ 146 000 (53,9 %, le taux le plus élevé depuis le début de l’enquête en 2011) étaient confrontées au même problème. La raison principale est que les propriétaires actuels n’ont pas d’enfants ou, plus généralement, que leurs enfants ne veulent pas suivre les traces de leurs parents, et que les propriétaires ne trouvent pas de successeur adéquat. En 2023, par exemple, les méthodes les plus courantes de transmission de la direction et des actifs étaient la promotion interne (nomination de cadres ou d’employés sans lien de parenté), qui représentait 35,5 %, et le choix parmi les membres de la famille (33,1 %).

L’auberge de la famille Ôkubo a été fondée en 1965. “Ma famille possédait une maison au bord du lac et a creusé une source chaude pour divertir les clients. L’endroit s’est ensuite transformé en auberge thermale. Depuis que je suis petite, je me disais que je reprendrai l’entreprise un jour. J’ai toujours eu ce sentiment. Ce n’est pas comme si mes parents m’avaient forcée à le faire. Je pensais juste que c’était naturel. J’ai l’impression que ma vie a pris cette direction depuis que je suis petite. Sans moi, Takarabune Onsen n’existerait plus. Et si le goût de la cuisine maison transmise de génération en génération venait à disparaître, ce serait triste”, confie la jeune femme.
Bien que la gestion d’un ryokan soit un travail prenant, elle affirme qu’elle apprécie globalement son nouveau rôle d’okami. “Je pense que je suis douée pour servir les clients. J’aime aussi le fait que notre hospitalité les rende heureux. Dans le secteur des services, vous rencontrez vos clients en personne et obtenez une réponse directe, comme lorsque je me produisais sur scène. C’est un travail où vous voyez immédiatement quand ils rentrent chez eux satisfaits. C’est ce que j’apprécie le plus. J’ai eu des clients de tout le pays, et récemment même de l’étranger. Ils viennent jusqu’à notre petit coin de campagne. C’est amusant d’interagir avec des gens de toutes origines”, explique Ôkubo Kotoe.
Tout en perpétuant l’approche traditionnelle de l’hospitalité de sa famille, elle se tourne également vers l’avenir. Afin de développer une nouvelle clientèle, elle a récemment ajouté deux éléments rarement vus dans un ryokan. Tout d’abord, en octobre 2023, elle a aménagé un espace sauna dans les locaux. Il s’agit d’un espace de détente mixte où les clients portent des maillots de bain. L’intérieur du sauna en forme de tonneau est suffisamment grand pour accueillir confortablement 10 personnes. “Nous l’avons importé d’Estonie où la culture du sauna existe depuis la préhistoire. J’ai toujours pensé que si je reprenais cette auberge, je voulais absolument avoir un sauna pour attirer une clientèle plus jeune. J’ai commencé à le planifier il y a trois ans, et c’est enfin devenu réalité”, raconte-t-elle.
Une autre caractéristique unique est un espace près du vestiaire où les clients peuvent non seulement se détendre, mais aussi jouer à de vieux jeux vidéo et lire des mangas. Dans un autre coin, il y a un espace de travail équipé d’installations réseau. “Vous pouvez travailler sur votre ordinateur, regarder des vidéos en streaming et faire tout ce que vous voulez”, ajoute-t-elle. “Un ryokan est une auberge très traditionnelle, mais ici, chez moi, je veux exprimer le lien sans frontières entre des personnes d’âges différents et ayant des goûts et des intérêts différents. A Takarabune Onsen, les clients peuvent oublier les barrières de genre et de génération et simplement se détendre et passer un bon moment”.
Le dernier ajout de l’ancienne artiste aux installations de l’auberge est peut-être encore plus audacieux. Toujours désireuse de remettre en question l’idée de ce à quoi devrait ressembler un ryokan, elle est allée encore plus loin et a réalisé son rêve de longue date de créer un studio de musique. EXTRA est un studio avec des miroirs, ce qui permet également de s’entraîner à la danse et aux performances scéniques.
“La combinaison entre musique et sources d’eau chaude a été bien accueillie. Au début, je pensais que ce serait surtout populaire auprès des jeunes, par exemple les étudiants qui l’utiliseraient pour des sessions de répétition de leurs groupes, mais nous avons aussi beaucoup de clients plus âgés qui viennent ici avec leurs amis et passent du temps à jouer ensemble. En tout cas, c’est moi qui utilise le plus ce studio (rires)”, explique-t-elle. Bien que de nombreux clients apportent leurs propres instruments, le studio est entièrement équipé de guitares, de basses et de batteries. Les réservations sont obligatoires, et il existe également un forfait qui inclut l’utilisation du studio et l’hébergement, mais il n’est pas nécessaire de séjourner au ryokan pour louer l’espace.
“Jusqu’à présent, je me suis produite plusieurs fois par mois. Je viens d’avoir un bébé et dans un avenir proche, je serai probablement trop occupée pour me consacrer à la scène, mais je ne veux absolument pas abandonner la musique. Au contraire, je veux faire de cet établissement un lieu qui divertit ses hôtes avec de la musique. Mon mari est également guitariste, alors quand nous accueillerons des clients, nous pourrons jouer une chanson ensemble, ou nous pourrons prévoir de proposer de la musique live pendant les repas. Je veux en faire une sorte d’auberge rock and roll”, assure la jeune femme. “Je veux aussi utiliser mes relations pour organiser des événements et inviter d’autres chanteurs et musiciens. Je suis sûre que nos clients apprécieront l’occasion d’interagir avec des artistes dans une atmosphère très décontractée, dans une salle de style japonais ou au bord du lac. Quant à moi, il n’y a rien de mieux que de chanter mes chansons devant un public”, revendique Ôkubo Kotoe.
G. S.